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croissant qu’elle s’arme de tous les mensonges de la coquetterie. « Lui seul est coupable, dit-elle, lui qui poussa dans une entreprisecriminelle mon âme hautaine et mon sexe fragile, lui qui fit de moi une femme errante, lui qui excita mon audace et m’affranchit des liens de la pudeur. » Cependant, devenue coquette par raison d’état, elle se prend à ses propres pièges. Elle a voulu se faire aimer du fils de Sophie pour le tenir dans une honteuse captivité, et en dépit d’elle-même l’amour la rend esclave de son prisonnier. Aussi, quand Renaud, revenu de ses égaremens, dit un éternel adieu à cette amante éplorée, quand, les yeux couverts de ténèbres, échevelée, presque expirante, elle s’attache à ses pas, quand elle s’offre à l’accompagner dans l’horreur des batailles, à lui servir de page et d’écuyer, et qu’elle fit sur le front du chevalier un refus irrévocable, son désespoir nous touche, et nous la trouvons assez punie… Ce n’est pas ainsi que l’entend l’auteur de la Jérusalem conquise. À ce moment, Araldo sort d’une embuscade, la saisit brutalement par les cheveux, lui arrache sa ceinture, lui lie les bras et les pieds dans les nœuds d’une chaîne de diamant et l’attache à un rocher. « Tu ne seras libre, lui dit-il, que lorsque, par ton ordre, les esprits infernaux auront détruit de fond en comble ton palais magique. » Elle s’empresse d’obéir, elle défait ses enchantemens, le palais a disparu ; mais, infidèle à sa promesse, se jouant de sa parole, le chevalier ne la délivre point ; il l’abandonne sur son rocher et s’éloigne en se glorifiant du succès de sa loyauté perfide et de sa pieuse supercherie :


…… Onore avranno,
Perfida lealtate e fido inganno !


Ah ! chevalier, chevalier, vous n’êtes pas un chevalier : vous êtes un estafier du saint office !

« Puisse ma nouvelle trompette aux accens angéliques, s’écriait le Tasse dans le préambule de son nouveau poème, réduire au silence celle dont le fracas remplit encore le monde ! »


E d’angelico suon canora tromba
Faccia quella tacer, ch’oggi rimbomba.


Et en 1593 il écrivait au père Francesco Panigarola, évêque d’Asti : « Je suis très affectionné à mon nouveau poème ou à mon poème nouvellement réformé, comme à un nouveau-né de mon esprit. J’ai retiré ma tendresse au premier, comme font les pères à des fils rebelles et soupçonnés d’être les fruits de l’adultère. » Oh ! que ce mot dit de choses ! Aux yeux des inquisiteurs et des jésuites.