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toujours sur des Titus ou des Marc-Aurèle, et ce dernier lui-même n’a-t-il pas signé, quoiqu’à regret, dit-on, des édits de persécution contre les chrétiens? Qui n’aimerait à rencontrer le bon despote dont M. Mill nous trace un gracieux portrait? Tout comme le savant publiciste, on serait heureux sans doute d’en faire son ami, mais non point de lui confier aveuglément une toute-puissance sans limites.

Nous formons un autre rêve que celui d’une monarchie absolue tempérée par la révolution, cette fée ironique et puissante qui nous vend parfois si cher ce qu’on croit qu’elle nous donne, et l’on peut souhaiter autre chose qu’un état d’intermittence où l’on passerait de la mollesse et de l’abandon général sous un despotisme comfortable aux secousses violentes d’une liberté réveillée à l’improviste : oscillation périodique qui, pour le prochain retour du balancier de nos destins, nous présagerait un épisode de licence redoutable, si l’astrologie révolutionnaire peut établir ses calculs sur l’expérience du passé.

En nous-mêmes est la vraie sauvegarde contre le désordre ; nul ne peut lutter utilement pour nous sans que nous nous en mêlions. Dans les difficultés inévitables de la vie politique, la victoire ne reste pas à ceux qui, se retirant loin du théâtre de la lutte, ne veulent combattre que par procuration. Si l’on n’a pas encore trouvé la juste limite entre le droit de résistance et le droit de renversement, c’est à nous de la chercher maintenant. L’énergie et l’esprit politique d’un peuple peuvent se faire jour à travers toutes les institutions, sans aller sans cesse chercher des systèmes plus ou moins ingénieux, car tant valent les hommes, tant valent les institutions. Sous les divers uniformes et sous les divers drapeaux qu’adopta notre pays dans les diverses phases de son histoire, sous l’armure féodale du chevalier comme sous la tunique du simple fantassin, nos soldats ont toujours montré les mêmes vertus guerrières. Sous toutes les formes de gouvernement, on peut également déployer les mêmes faiblesses ou les mêmes vertus politiques et civiles.

Un nouveau bail commence avec la législature nouvelle, un réveil s’est fait dans les esprits, il s’est même répandu dans l’air comme un parfum d’opposition. Nous avons six ans pour préparer un nouveau progrès et pour travailler à l’avènement de deux grandes choses qui ne sauraient être inconciliables en pays chrétien, c’est-à-dire le principatum ac libertatem de Tacite. Dans six années, les maîtres de notre première jeunesse auront vieilli, ceux à côté desquels ont combattu nos pères et nos aînés seront moins propres à la lutte active, et n’auront plus guère que de sages conseils à nous donner; auront-ils des héritiers ou des successeurs? Leur héritage sera lourd à porter; mais évidemment la lice est entr’ouverte, et il faut concourir, sinon pour la palme, du moins pour une part dans