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— Je crois et j’espère ! — s’écria-t-il, et d’une main faisant un signe de croix, de l’autre il jeta un baiser au Vatican. C’était un geste bien italien.

— Mon cher baron, dit Mme Roch, vous aurez beau dire et beau faire, vous ne me ferez jamais aimer votre prince Vitale. Tout à l’heure, pendant que vous aviez la bonté de nous, lire son manuscrit, j’avais les nerfs fort agacés. À vrai dire, je ne vous écoutait que d’une oreille ; mais le peu que j’ai compris m’a fort déplu. Je n’aime pas ces gens qui cherchent midi à quatorze heures. Sur ces choses-là, il en faut croire son curé, car enfin, à ce compte, de quoi serviraient les curés dans ce monde ? Allez, baron, la foi du charbonnier est la seule bonne. Comme le Tasse, votre prince est un esprit chagrin et orgueilleux, et je voudrais parier que, comme je. Tasse, il finira par devenir fou.

— Rassurez-vous, madame, il n’en est rien. Ce jour avait commencé entre nous une liaison très intime. L’ayant beaucoup pratiqué, je puis vous assurer qu’il n’y avait point d’orgueil dans son fait et qu’il n’était point en danger de perdre la raison. À la vérité, il était sujet à des accès de découragement et de tristesse ; mais il s’en défendait de son mieux à l’aide de ses consolateurs, qui étaient ses livres, sa harpe, ses pauvres, et un grand ouvrage qu’il composait à ses momens perdus… Oh ! n’ayez crainte, je ne vous en dirai pas le titre ! D’ailleurs il croyait, il espérait, et, son cœur étant simple et bon, il avait des gaîtés et des confiances d’enfant. Un jour que nous étions allés ensemble au Vatican, il me fit admirer les soins religieux qu’on y rend aux antiques, et il est certain, madame, que Jupiter n’était ni mieux logé ni plus honoré sur l’Olympe qu’il ne l’est aujourd’hui dans la demeure des papes. — Convenez, me dit le prince en sortant, que ce n’est plus Sixte-Quint qui règne à Rome ! — Et il m’exposa la théorie sur laquelle reposaient ses espérances. Il comparait l’église à une vigne imprudente qui est trop pressée de fleurir ; mais le grand vigneron, qui sait combien les printemps sont trompeurs et qui veut que sa vigne attende l’heure marquée par sa sagesse, lui envoie, au moment où elle s’apprête à épanouir ses fleurs, des gelées qui la font rentrer dans le sommeil de l’hiver. — Au XVIIIe siècle, me dit-il, l’église, conduite par les Benoît XIV et les Clément XIV, crut de nouveau que le moment de la floraison était venu. Dieu chargea la révolution de l’avertir qu’il était trop tôt. aujourd’hui pourtant je crois reconnaître à plus d’un signe que le temps de l’épreuve est passé, que toutes les divisions vont cesser et que l’âge d’harmonie va s’ouvrir. — Et, comme je l’écoutais d’un air rêveur : — À quoi pensez-vous ? me demanda-t-il. — Je pense, lui répondis-je, à ce mot trivial, mais expressif, d’un philosophe :