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l’action. Dans six ans, pour beaucoup d’entre nous l’heure de la maturité aura sonné; d’ici là, laboremus, ce qui veut dire souffrons aussi bien que travaillons. Ce double sens nous convient; l’avenir est peut-être dans nos mains, le laisserons-nous échapper?

Parmi les alternatives du désordre et de l’autorité extrêmes, la France a souvent confié son sort à ceux qui ne travaillaient pas pour la liberté; ne pourrait-on aujourd’hui se montrer plus clairvoyans et plus difficiles? Dès que tout le monde est représenté, la pratique du gouvernement représentatif est-elle à jamais impossible? Beaucoup assurent qu’avec la démocratie on ne saurait faire de la liberté et de l’ordre tout ensemble, et que s’il faut avoir une confiance illimitée dans la liberté, qui nous vient de Dieu, on doit n’accorder qu’une confiance restreinte aux libéraux, qui ne sont pas toujours inspirés du ciel. En effet, lorsqu’on suppute les malheurs et les renversemens que nous avons traversés, ou qui nous menacent au nom de la liberté, si souvent confisquée en fin de compte, qui peut être paisiblement libéral? mais qui peut ne l’être pas quand on considère quelles sont les conséquences funestes et inévitables de tout despotisme prolongé? Néanmoins que les timides s’enhardissent, le temps nous pousse, le suffrage universel a marché; qui voudra rester seul sur des rives dépassées? Dans quelques parages que nous mène le vaisseau ballotte de la patrie, il faudra bien aller ; plus on est loin du port, plus on a besoin des efforts de tous pour accomplir la tâche malaisée de l’habileté dans le bien et du succès dans l’honnête. C’est pourtant dans cette voie difficile qu’il nous faut avancer plus ou moins pour garder notre rang parmi les nations, et soit qu’on fasse, soit qu’on néglige son métier d’homme libre, on doit reconnaître que le pays commence à désirer une participation plus active et un contrôle plus effectif dans ses affaires, et on pourrait conjecturer que la période qui vient de s’ouvrir ne s’achèvera pas sans que la démocratie véritable, qui comprend tout le monde, appuyée sur les côtés perfectibles de la constitution actuelle, réclame ses franchises et ses droits de bourgeoisie.

A une telle réclamation non encore nettement formulée par le suffrage universel, quelle est la réponse que l’avenir nous réserve? Nul ne peut la prévoir; mais de graves prémisses paraissent avoir été posées. Il semble que nous commencions une page nouvelle de l’histoire contemporaine, et l’on ne saurait trop, à l’exemple de M. Stuart Mill, s’efforcer d’éclairer les routes encore inconnues où s’avancent les masses électorales du pays, qui cherchent à exercer leur part d’influence sur le mouvement légal de la vie civile et politique.


Duc D’AYEN.