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sées, offraient l’aspect le plus misérable. Une horde d’Indiens Múras était venue se fixer en ce lieu, il y a déjà bien des années, sur le site d’une station abandonnée par les missionnaires, et le gouvernement y avait récemment institué un directeur à poste fixe, chargé de ramener sous le contrôle de l’autorité régulière ces sauvages indomptables. Cette mesure néanmoins ne semblait promettre aucun autre résultat que de les renvoyer à leurs anciennes solitudes, sur le bord des eaux intérieures, car mainte famille s’était déjà éloignée. L’absence des arbres et des plantes que les Indiens eux-mêmes cultivent ordinairement donnait à cette misérable bourgade les dehors nus et désolés de la plus irrémédiable pauvreté. J’entrai dans une de ces cabanes, où plusieurs femmes étaient occupées à préparer le repas. Les différens morceaux d’un gros poisson rôtissaient sur un feu établi au centre d’une chambre où l’on avait peine à se tenir debout, et les entrailles étaient éparpillées sur le sol battu, où les femmes s’accroupissaient avec leurs enfans. Elles avaient une physionomie timide et méfiante, et leurs corps étaient souillés d’une fange noirâtre dont elles se barbouillent la peau pour l’abriter des moustiques. Les enfans étaient absolument nus; les femmes portaient des jupons d’une sorte de drap grossier dont les bords étaient en charpie, et qu’elles avaient teints ou plutôt tachés avec du murixi, sorte de teinture extraite de l’écorce d’un arbre. L’une d’elles portait un collier de dents de singe. On ne voyait presque aucun ustensile de ménage, et la maison était vide, à l’exception de deux sales hamacs en tissu végétal accrochés aux angles de la hutte. Mon regard cherchait en vain derrière la maison ces hangars où on entrepose le manioc, et l’entourage ordinaire de cotonniers, de cacaotiers, de cafiers et d’arbres à limons. Deux ou trois jeunes hommes de la tribu flânaient devant la porte basse qu’on avait laissée ouverte. C’étaient des gaillards solidement bâtis, mais moins bien proportionnés que ne le sont en général les Indiens à demi civilisés du bas fleuve des Amazones ; le développement de leur poitrine était remarquable, et la musculature de leurs bras attestait une vigueur peu commune. Par rapport aux dimensions du tronc, les jambes paraissaient courtes. L’expression de leurs physionomies était, à n’en pas douter, plus sournoise et plus brutale, leur peau était également d’une teinte plus foncée que n’est ordinairement celle de l’homme rouge du Brésil. Avant que nous eussions quitté la hutte, un couple de vieillards y pénétra, le mari portant son arc, ses rames, ses flèches, son harpon, la femme courbée sous le poids d’une grande corbeille remplie de noix de palmier. L’homme était petit et trapu ; la longue toison grossière qui pendait sur son front lui donnait un aspect vraiment sauvage. Ses deux lèvres étaient percées de trous, ainsi qu’on le voit d’ordinaire chez les Múras d’origine ancienne établis le long du fleuve. Autrefois ils passaient dans ces trous des défenses de sanglier lorsqu’ils devaient se trouver en rapport avec des étrangers, ou qu’ils marchaient, pour les combattre, au-devant de tribus hostiles. La sauvagerie menaçante, la saleté, la misère des gens que j’avais sous les yeux, me jetèrent peu à peu dans une véritable mélancolie, et je fus charmé de m’en retourner au canot. Il n’y eut de leur part aucune manifestation courtoise; ils ne nous adressèrent même pas les saluts d’u-