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compromis par le succès de la politique russe. Devant la Russie triomphante, l’Autriche serait contrainte de rétrograder vers ce vasselage mal déguisé qui l’a liée si longtemps à Saint-Pétersbourg; cette perspective menaçante est bien faite pour incliner M. de Schmerling vers la politique des puissances occidentales, et par conséquent vers une politique favorable à la Pologne.

L’accord et la marche concertée de la France, de l’Angleterre et de l’Autriche sont à la fois l’espoir de la paix et la garantie de la sécurité de l’Europe, si les moyens de persuasion demeuraient impuissans contre l’obstination de la cour de Pétersbourg. Si cet accord se fût manifesté plus tôt, avec plus de fermeté et de résolution, il est probable que l’on eût prévenu le danger et le scandale des dernières dépêches russes. Il n’est pas douteux que le gouvernement russe n’a pas voulu croire jusqu’à présent à la sincérité et à la vigueur du concert européen, et qu’il a espéré rompre cette union réservée et tâtonnante par une charge brusque et hardie. La paix a failli ainsi se heurter au même écueil où elle s’était rompue dans la guerre d’Orient. L’empereur Nicolas s’était refusé à croire d’abord à l’alliance occidentale; il avait voulu espérer jusqu’au bout qu’il entraînerait l’Autriche dans sa cause. Si dès le principe il se fût trouvé en face de l’Angleterre, de la France et de l’Autriche liées dans la même résolution et prêtes à l’action commune, il eût cédé. La situation est aujourd’hui semblable; mais l’union des trois puissances peut avoir encore toute son efficacité pour la conservation de la paix : la Russie a encore le temps de se raviser. Unies, les puissances n’ont plus d’ailleurs à se consumer dans de subtiles négociations. Le ton des dernières dépêches du prince Gortchakof a du moins le mérite de couper court au verbiage diplomatique. C’est à la Russie de revenir sur ses imprudens refus et de se préparer à faire des concessions, lorsqu’on ne lui a proposé encore que le minimum de ce qu’on aurait le droit d’exiger d’elle. Après le délai moral qui lui sera donné pour réfléchir aux nécessités de la situation, il sera temps enfin que les puissances alliées prennent en considération sérieuse la condition de la Pologne. L’insurrection polonaise avec ses incidens douloureux dure depuis six mois. Une pareille durée est un fait politique important. Le gouvernement national de Pologne et l’insurrection ont acquis un titre particulier auprès de l’Angleterre et de la France en acceptant le projet d’armistice aux conditions que nous avons indiquées il y a longtemps. Lord Palmerston doit être particulièrement sensible à cette acceptation, lui qui n’avait point laissé ignorer au gouvernement de l’insurrection polonaise qu’il perdrait tout titre à la sympathie de l’Angleterre, s’il refusait l’armistice. Or cette mesure, d’inspiration anglaise, c’est la Pologne qui l’a acceptée, c’est la Russie qui la rejette. il ne faut point en outre perdre de vue que l’action diplomatique n’a fait jusqu’à présent qu’aggraver la situation des Polonais. Jusqu’au moment où les puissances sont intervenues, les Polonais n’avaient affaire qu’avec le gouvernement russe; la nation russe demeurait spectatrice de la lutte, elle