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du luth, du théorbe, de la mandoline, et d’autres instrumens à cordes en usage dans les XVIe et XVIIe siècles. Les grands peintres, les poètes, les artistes, et presque tous les hommes illustres de la renaissance ont aimé la musique et y ont fait allusion dans leurs compositions. Tout le monde connaît, au moins par la gravure, le beau tableau de Sainte Cécile de Raphaël, qui est à Bologne, composition étrange, qui choque le sens historique, et qui a fait dire à M. de Rémusat avec juste raison : « Nouvelle preuve qu’un tableau ne doit nullement être raisonné comme une scène de drame, et que les grands peintres se préoccupent avant tout du but pittoresque. » M. de Rémusat complète sa pensée en se demandant : « Que fait Marie-Madeleine dans ce tableau? Toute la subtilité du monde ne lui trouverait rien dans la physionomie qui la rattache au sujet. Elle regarde hors du cadre, ses yeux sont fixes, son visage un peu dédaigneux. Qu’exprime-t-elle? La beauté. Elle est là rien que pour être belle... Elle est la beauté, le dernier but de l’art est atteint[1]. » Nous sommes bien loin aujourd’hui de croire, avec M. de Rémusat et tous les bons esprits, que la beauté a, dans les combinaisons des arts, une valeur absolue dont rien ne peut affaiblir l’éclat et la puissance. Cette idée profonde, qui a été celle de tous les grands théoriciens, je la trouve exprimée sous une forme plus générale dans un beau livre que tout le monde lit. « Jésus, fils de Sirack, et Hillel, avaient émis des aphorismes presque aussi élevés que ceux de Jésus. Hillel cependant ne passera jamais pour le vrai fondateur du christianisme. Dans la morale, comme dans l’art, dire n’est rien, faire est tout. L’idée qui se cache sous un tableau de Raphaël est peu de chose ; c’est le tableau seul qui compte[2] . » N’est-ce pas revenir, en d’autres termes, à la grande définition que donne Aristote de l’histoire et de la poésie? « La vraie différence, dit-il, est que l’histoire raconte ce qui est arrivé; l’autre exprime ce qui aurait pu arriver. Voilà pourquoi la poésie est quelque chose de plus grand et de plus sérieux que l’histoire. » Voilà pourquoi aussi, dirons-nous, la beauté est quelque chose de plus grand et de plus durable dans les arts que la vérité, dont se préoccupent si fort les artistes du jour.

Nous avons déjà dit que presque tous les peintres italiens de la renaissance savaient la musique, et qu’ils ont laissé un grand nombre de tableaux où cet art divin se trouve représenté sous une assez grande variété de combinaisons. Les peintres vénitiens notamment ont tous aimé la musique, et quelques-uns l’ont cultivée avec passion. Giorgione chantait et s’accompagnait du théorbe. Tout le monde peut voir au salon carré du Louvre le grand tableau de Paul Véronèse, les Noces de Cana, où se trouve ce groupe de musiciens qui représentent les peintres et les amis du grand artiste. Véronèse est en habit blanc et joue de la viole; derrière lui est le Tintoret, qui joue du même instrument; de l’autre côté sont Titien, qui joue de la

  1. Voyez, dans la Revue du 15 août 1861, la légende de cette illustre dame romaine, que l’église a adoptée comme la patronne des musiciens.
  2. Vie de Jésus, par M. Ernest Renan, p. 92.