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chanté avec goût sa partie dans le duo du quatrième acte et la romance que M. Verdi a composée pour lui. M. Obin a retrouvé dans le rôle de Procida le talent sérieux qu’il possède. Après tout, cette reprise des Vêpres siciliennes ne manque pas d’à-propos et apportera un peu de variété dans un répertoire antique et solennel.


P. SCUDO.


ESSAIS ET NOTICES.

Un Écrit sur la Pologne et le système russe[1].


A mesure que le nœud des affaires de Pologne se resserre, cette grande, cette tragique question apparaît dans ce qu’elle a de profond et de complexe. On s’efforce de la saisir, de la ramener à quelques points précis et pratiques, et de tous côtés elle échappe, elle dépasse le cercle où on veut l’enfermer. On fait ce qu’on peut pour la réduire à une question de réformes, de légalité, d’exécution des traités, d’adoucissement de domination, et on s’aperçoit bien vite que toutes ces combinaisons laborieusement poursuivies ne sont que de vains palliatifs, qu’il y a autre chose qui s’agite. On recule devant les difficultés, on appelle le temps à son aide, on laisse passer des mois d’anxiété, et le temps ne fait qu’accumuler les difficultés en les envenimant, en élargissant chaque jour cet abîme sanglant au sein duquel un peuple se débat seul, livré à lui-même, sous l’inspiration enflammée et irrésistible de son héroïsme. Abandonner ce peuple, on ne le peut évidemment, on ne le peut plus; ce serait le déshonneur de ceux qui l’abandonneraient, et même le déshonneur sans sécurité, sans l’assurance de la paix comme rançon d’une abdication européenne. Aller au secours de cette nation descendue comme un lion dans l’arène, on a hésité jusqu’ici, on hésite encore, ou du moins on s’interroge sur ce qu’on peut faire, et en attendant tout s’aggrave. Tant que les Polonais n’avaient pas les armes dans les mains, le problème pouvait sembler obscur ou n’être envisagé que dans le lointain; on pouvait éviter de le soulever, puisqu’il ne s’imposait pas lui-même impérieusement. Depuis que l’excès de l’oppression a jeté dans les bois tout ce qu’il y a de viril en Pologne pour livrer un combat suprême et désespéré, la vérité des choses se fait jour invinciblement. On le sent bien, ce n’est plus une question de réformes et d’améliorations dans la limite de traités dont il ne restera bientôt plus rien; ce n’est plus même seulement une question politique d’indépendance, ou du moins c’est bien sans doute une question d’indépendance, mais c’est encore et surtout la lutte acharnée et émouvante de deux sociétés, de deux mondes qui se heurtent dans une crise soudaine, quoique toujours prévue. Et c’est ce qui fait que l’intervention européenne, lors même que les gouvernemens ne le voudraient pas, a une signification plus étendue et plus générale que tout ce que peuvent dire les formules diplomatiques, de même qu’une victoire

  1. La Pologne et la Cause de l’ordre, in-8o, 1863.