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autre évêque, M. Diepenbrock, a entretenu pendant de longues années une correspondance intime avec un illustre médecin de Francfort, le vénéré docteur Passavant, une des lumières du protestantisme. Or le docteur protestant n’était pas plus satisfait de son église que l’évêque catholique n’était satisfait de la sienne. Le lecteur me comprend : je veux dire que, malgré leur foi, ils sentaient tous deux les défauts, les lacunes de leurs institutions humainement organisées, et que, tendant les bras l’un vers l’autre, ils s’unissaient déjà en des régions plus pures. Cette union cependant ne devait pas faire disparaître les contrastes de leur esprit, la personnalité de leur foi; ils se respectaient assez pour admettre ces variétés, qui sont l’œuvre même de Dieu et le caractère de toute libre vie. Rien de plus curieux que cette correspondance de M. Diepenbrock et de M. Passavant. Elle offre une belle image de certaines vertus cachées de notre siècle, elle indique surtout l’idéal auquel doit tendre le spiritualisme chrétien.

Cette union dont on a poursuivi en vain la formule écrite, cette union qui, dans les termes où la posaient Leibnitz et Bossuet, eût été sans doute plus nuisible que salutaire, car elle doit être un produit spontané de la vie et non le résultat d’un traité, cette union, qu’on dit impossible, a existé pour le médecin protestant de Francfort et l’évêque catholique de Ratisbonne. Le jour où les philosophes chrétiens suivront cette voie, une grande évolution commencera dans l’ordre des idées religieuses. Tournons donc les yeux vers l’avenir, dirai-je à M. Rosseeuw Saint-Hilaire, sachons bien que la France ne trouverait pas son salut dans le XVIe siècle ; rappelons-nous que le passé ne se refait pas, rappelons-nous qu’il n’y a pas de vie féconde sans développement, sans transformations actives, sans efforts toujours renouvelés vers une perfection plus haute; rappelons-nous enfin que le divin fondateur du christianisme, d’après les formules mêmes des orthodoxes, éternellement consomme son sacrifice et ressuscite éternellement.

Ces réflexions, qui s’adressent à l’éloquent manifeste de M. Rosseeuw Saint-Hilaire, serviront aussi de réponse à M. Arbousse-Bastide, auteur d’un livre fort estimable intitulé le Christianisme et l’Esprit moderne. M. Arbousse-Bastide est persuadé que le christianisme de Calvin est le seul christianisme possible, le seul qui soit en mesure de faire alliance avec l’esprit moderne et d’assurer l’avenir de la France. Son langage est plein de verve, plein de feu; on dirait parfois l’enthousiasme un peu irréfléchi d’un néophyte. Nouveau Polyeucte, il gourmande la froideur de Néarque, et veut absolument le pousser à la destruction des idoles, comme si nous étions encore au temps de l’empereur Décie. Son ardeur est si grande, j’ai le droit d’ajouter si peu discrète, qu’il interpelle directement tel d’entre nous, et le somme de changer d’église. M. Arbousse-Bastide est animé des meilleures intentions; il a du talent, il a le goût de la pensée et du style; ce serait lui faire injure que de ne le pas croire digne d’une critique sincère et d’un conseil franchement exprimé : son libéralisme fait fausse route. Qu’il étudie de plus haut les questions religieuses, qu’il se défie des polémiques surannées et stériles!


SAINT-RENE TAILLANDIER.


V. DE MARS.