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Pourtant il y a toujours dans ces contes, même dans les plus merveilleusement impossibles, des caractères et des situations d’une vérité charmante, des figures d’une simplicité adorable et des traits de mœurs qui offrent de ravissans tableaux. C’est le côté par lequel, soit habileté, soit véritable humour, il vous saisit et vous force à suivre ses personnages à travers le monde de l’hallucination.

Pérégrinus Tyss (dans le conte de Maître Floh) est un de ceux qui nous ont toujours le plus touché. Ce grand enfant qui se cherche et veut se retrouver dans le rêve de ses premières années, cette douce folie qui ouvre le récit par une scène de touchante puérilité, sont les élémens de l’heureux prologue qui annonce l’arrivée des êtres fantastiques. L’ami George Pépush, si fantastique lui-même, aussi bien que les deux docteurs qui se battent au microscope, est prédestiné à devenir la victime des forces surnaturelles évoquées par l’examen. Mais si ces personnages sont on ne peut mieux préparés par leurs idées, leurs intérêts et leurs passions, à recevoir toutes les impressions du monde ultra-idéal, il n’en est pas moins certain qu’à leur point de départ, et même à travers leurs rêveries, ils sont et demeurent très réels et très humains. Non-seulement la bonté douce et généreuse de Pérégrinus le fait aimer, mais encore on trouve dans son isolement, dans son célibat et dans sa timidité, les causes très plausibles de sa disposition à devenir la proie des chimères. George Pépush, mélancolique et soupçonneux, mais loyal et brave, a un côté comique parfaitement nature : c’est lorsqu’il écoute avec dédain les gens qui déraisonnent autour de lui, pour s’écrier tout à coup qu’il en sait plus long qu’eux, et pour entrer beaucoup plus avant dans le monde de la folie. Il y a une très bonne scène entre lui et Pérégrinus. Il le blâme de ses manies et lui dit les choses du monde les plus sensées pour l’en guérir; mais dès que Pérégrinus lui répond avec douceur : « Pardonne-moi ! ces manies sont des fleurs que je répands sur ma vie, laquelle autrement ne me semblerait plus qu’un champ triste et stérile, couvert d’épines et de chardons ! — Que parles-tu de chardons? s’écrie George avec violence. Pourquoi les méprises-tu? Ignores-tu que le cactus grandiflora appartient à cette famille? Et l’aloès zéhérit n’est-il pas le plus beau cactus qui soit sous le soleil? Pérégrinus, je te l’ai longtemps caché, parce que longtemps je l’ai ignoré moi-même, mais apprends que je suis moi-même l’aloès zéhérit! »

C’est ce côté humain, à la fois plaisant et sérieux, qui place les contes d’Hoffmann au-dessus des purs caprices de l’imagination. On peut donc les prendre sous un de leurs deux aspects, et trouver encore dans celui de la réalité un élément comique ou attendrissant. Le côté principalement artiste et merveilleux a été mis à la scène avec succès. Les Contes d’Hoffmann, drame fantastique représenté à l’Odéon il y a quelques années, était un ingénieux résumé des caprices les plus originaux du poète. L’humble fantaisie à quatre personnages que nous avons appropriée aux