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forme la limite d’une surface presque unie qui s’étend en pente douce jusqu’au pied des contre-forts de la vallée. La forme des collines attire notre attention ; elle nous rappelle ces contours arrondis, ces roches moutonnées par l’action des anciens glaciers que la Suisse nous offre à chaque pas. Où l’eau séjourne, on doit trouver une couche imperméable qui l’empêche de s’infiltrer dans le sol. Nous examinons le terrain de plus près, et sous la tourbe qui le revêt nous découvrons une argile fine, d’un gris bleuâtre, contenant des parcelles de mica, semblable en tout à la boue que produit, en usant la pierre, la meule du rémouleur. Nous suivons le lit d’un petit ruisseau, et nous trouvons que la couche d’argile recouvre immédiatement les inégalités de la roche, et s’est accumulée principalement dans les dépressions. Près du fleuve, la roche s’avance en surplombant, et forme une grotte humide et fraîche où les troupeaux viennent chercher un abri pendant la chaleur du jour. Les branches pendantes des bouleaux et des aunes qui couronnent le rocher, les racines tortueuses qui sortent des fissures et semblent chercher dans l’air l’aliment que la pierre leur refuse, les lichens et les mousses vertes, ornemens du rocher, comme la barbe au menton d’un vieillard, l’ombre profonde de la grotte, tandis que la rivière et les montagnes brillent aux feux du soleil, tout excite notre enthousiasme d’artiste, et chacun se promet de revenir le lendemain avec ses toiles et ses pinceaux.

« Mais d’autres phénomènes attirent nos regards. Quelques rochers nus s’avancent vers le fleuve; ce sont les plus belles surfaces polies et striées par d’anciens glaciers qu’on puisse imaginer. La roche est un gneiss grisâtre à feuillets très contournés, entre lesquels se montrent des nids d’amphibole et de mica. Les surfaces sont usées, arrondies, avec des stries rectilignes, perpendiculaires aux feuillets du gneiss et dirigées en ligne droite vers le Romdalshorn et la gorge qui s’ouvre à sa base. Nous remarquons aussi ces cannelures en forme de coups de gouge qu’on observe souvent dans les Alpes : elles sont parallèles aux stries et perpendiculaires à la ligne de plus grande pente. On ne saurait donc les attribuer à l’action des eaux pluviales. Ces stries se prolongent dans le lit du fleuve, dont le courant, contrarié par la marée, ne paraît exercer aucune action sur les roches encaissantes. Pour la première fois nous reconnûmes en Norvège ces traces incontestables de l’ancienne extension des glaciers qui sont si évidentes dans les Alpes, les Pyrénées et les Vosges. Semblable à un rabot gigantesque, le glacier du Romdalshorn s’est avancé dans cette vallée usant, polissant les rochers, quel que fût le sens de la stratification ou la dureté des matériaux, car l’amphibole et le mica, qui se laissent entamer avec un canif,