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la forêt derrière leurs mules. L’explication est cependant des plus simples : tout affranchi prend à volonté le nom de son patron, de son parrain ou de tout autre protecteur ; or le Portugais naît généralement gentilhomme. Il n’est pas en effet de famille dont les ancêtres n’aient porté les armes contre les hordes de l’islamisme dans la longue lutte de l’indépendance, et on sait que les rois de Portugal, voulant exalter le courage de leurs troupes, anoblissaient sur le champ de bataille tous les soldats d’une armée qui venait de remporter une victoire sur les infidèles, ou de monter à l’assaut d’une ville musulmane.

Autre sujet d’étonnement : ce pays, entouré de tous côtés par des peuples agités de convulsions permanentes, jouit cependant de la paix la plus profonde. Les causes de ce calme paraissent assez complexes. Le caractère portugais, plus sombre et plus positif que le caractère castillan, est moins accessible aux exaltations passagères. Les immenses déserts qui sillonnent le continent austral empêchent d’ailleurs les frémissemens des républiques espagnoles d’atteindre le Brésil. La vie politique s’y montre cependant, mais c’est à Rio-Janeiro qu’on peut surtout l’observer.


II

J’avais entendu fort vanter la beauté imposante de la rade de Rio-Janeiro ; mais, habitué par une longue expérience à trouver le plus souvent la réalité en parfait contraste avec les pompeux récits des voyageurs, je ne comptais guère sur le merveilleux spectacle que l’on me promettait de toutes parts. J’entrai enfin dans cette rade par une de ces matinées étincelantes des tropiques, et pour la première fois peut-être je trouvai le tableau au-dessus de la description, tant il est impossible à l’exagération humaine de lutter contre les exagérations de la nature. Qu’on se figure un immense bassin entouré de tous côtés par une ceinture de montagnes granitiques couvertes de la plus riche végétation qu’il soit donné à l’homme de rêver, et l’on n’aura qu’une faible idée de la rade de Rio-Janeiro. Il faut cependant ajouter qu’il existe une autre rade plus belle encore, plus grande, plus majestueuse, celle de San-Francisco.

Malgré la fièvre jaune, qui depuis quelques années y a élu domicile, Rio-Janeiro est aujourd’hui la première ville de l’Amérique du sud par son commerce et sa population. C’est vers ce point que converge presque tout le courant de l’émigration européenne. Aussi le voyageur s’y trouve-t-il coudoyé à chaque instant par des Français, des Allemands ou des Italiens. On m’a assuré que le nombre