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tions ; mais lord Malmesbury n’était pas un homme ordinaire. Partout, dans ses lettres, se reconnaît l’empreinte d’un esprit vif, hardi, entreprenant. Il a le sentiment profond, mais il n’a pas la crainte de la responsabilité. On n’est homme d’état qu’à cette double condition; quand elle fait défaut, l’impuissance est certaine. La dignité personnelle, le respect de soi-même, la légitime fierté qui convient au représentant d’une nation puissante et libre, toutes ces qualités indispensables à un diplomate, lord Malmesbury paraît les avoir possédées. Il était ambitieux (et il l’avoue), mais de cette ambition qui vise haut, ne se contente pas des apparences, et tient plus au succès qu’à la récompense.

De Berlin, en 1773, il rend compte à un ami, M. Batt, d’une insinuation qui lui a été adressée de Londres afin de l’engager à changer son poste contre celui de Copenhague, par le double motif que Berlin est désagréable à habiter, et que le roi lui saurait gré des services qu’il pourrait lui rendre près de sa sœur, la reine de Danemark, et il écrit :


« J’ai répondu que Copenhague pouvait offrir en ce moment quelques chances particulières de faveur, mais que ce n’était pas là un poste enviable pour un esprit actif et jaloux de trouver l’occasion de se distinguer... Je crois, mon cher ami, que je suis maintenant bien en selle, et je vous avoue que, plus par le désir de ne pas rester un zéro en ce monde que par tout autre motif, je suis bien résolu à me pousser en avant de mon mieux tant que je verrai un échelon plus élevé à atteindre. Je sens tous les inconvéniens d’une vie passée au dehors, parmi lesquels le plus pénible est certainement l’éloignement perpétuel de mon pays et de mes amis. Je réfléchis cependant que tout genre de vie a son mauvais côté, que, même dans le sein de sa famille, celui dont l’esprit est totalement inoccupé a ses momens de mécontentement et de spleen et tout ce cortège de mauvaise humeur que développent trop souvent l’indolence et l’inactivité d’une vie de loisir. J’ai peut-être aussi une sorte de philosophie innée qui me vient en aide, et qui, jointe à la conviction (aussi forte en moi que celle de l’existence de Dieu) que l’humanité est la même partout, me rend presque indifférent au lieu de ma résidence, du moment que ce ne peut être celui où je trouverais les êtres que j’aime le plus. »


Puis, après une peinture fort triste de Berlin et de l’immoralité profonde de ceux avec qui il est obligé de vivre, il ajoute :


« Ce sombre tableau, dont je ne crois pas que je charge les couleurs, vous fera sans doute me demander comment je m’arrange avec ce monde-là? — Mais très bien en vérité. — Je n’ai de liaisons intimes ni avec les hommes ni avec les femmes. En évitant avec soin de blesser et de blâmer, je me suis assuré le bon accueil des principaux personnages. Je suis, en toute occasion, gracieusement traité par sa majesté prussienne, et j’ai de