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connue des vicissitudes qui ont précédé, préparé et déterminé le premier partage de la Pologne. Nous sommes en 1767; Stanislas Poniatowski est assis sur le trône des Jagellons; Catherine y a fait monter son ancien amant, mais non sans lutte, car à la diète tenue en 1764 l’élection n’a pu avoir lieu que lorsque la défaite des Radziwill et des Branicki par les troupes russes a fait taire toute protestation et étouffe tout veto.

Poniatowski méritait de voir son règne s’inaugurer sous d’autres auspices, et si de grands malheurs en marquèrent le cours, il ne serait pas juste de l’en rendre seul responsable. Ses intentions étaient bonnes, il aimait son pays et était jaloux de son indépendance; mais, gêné par des liens qui l’attachaient à ceux qui l’avaient élevé et qui, trouvant en lui un instrument peu docile, le traitaient d’ingrat et le combattaient presque en ennemi, souvent mal servi et trahi par les siens, contrecarré dans ses projets par des dissensions intérieures, il suivit une marche incertaine et timide qui fut funeste à la Pologne et à lui-même. Tout ce que M. Harris raconte de ce prince inspire un touchant intérêt. Ses conversations, ses lettres le peignent comme aussi malheureux que digne d’un meilleur sort, et prouvent une fois de plus combien les qualités qui font l’homme de bien sont insuffisantes à faire un roi.

M. Harris trace avec vivacité le tableau de cette diète de 1767 où Catherine profitait avec tant d’audace et de perfidie des divisions de la Pologne pour y assurer sa domination. Il indique en traits rapides les causes principales de l’anarchie qui désolait ce pays. La constitution polonaise était un tissu de contradictions; on eût dit qu’on avait pris plaisir à y accumuler les obstacles propres à rendre impossible le gouvernement de cet état hybride, qui n’était ni une monarchie ni une république, et qui participait des inconvéniens de l’une et de l’autre sans en avoir les avantages. Le liberum veto donnait à un seul homme le pouvoir de tout arrêter, de tout empêcher. L’histoire a conservé le trait singulier qui signala l’élection de Vladislas VII, fils de Sigismond III, en 1632. Un noble polonais s’opposa seul au choix unanime de la diète. Vainement on l’accabla de sollicitations, vainement le primat le pressa de faire au moins connaître ses motifs, de dire s’il avait quelque chose à reprocher à Vladislas. « Rien, répondit-il, mais je ne veux pas qu’il soit roi. » Enfin lorsqu’il fut convaincu que sa résistance empêchait l’élection, il se jeta aux pieds de Vladislas en s’écriant : « Je voulais voir si ma patrie était encore libre; je suis satisfait et votre majesté n’aura pas de sujet plus fidèle que moi. »

Quelques années plus tard, ces prétentions ne s’arrêtèrent pas là. Ce n’était pas assez que l’élection du roi et les autres décisions