Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 46.djvu/867

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

clame au nom des droits de la conscience et de la liberté. Ainsi qu’on l’a dit avec raison. «la tolérance est encore plus obligatoire pour la philosophie, qui parle au nom de la liberté, que pour la religion qui parle au nom de l’autorité. » Malheureusement les contradictions de ce genre sont une des infirmités de l’esprit humain, et nul peuple n’est plus enclin à en donner l’exemple que le peuple anglais. Cette disposition a souvent motivé d’éloquentes protestations et de sévères leçons, et il n’y a pas bien longtemps qu’en plein parlement lord Robert Cecil adressait à ses collègues et à son pays d’utiles vérités[1]. M. Harris, nous l’avons déjà vu, tombe souvent dans ces contradictions. Il va jusqu’à dire cette fois que « le redressement des griefs des dissidens était le principal but de la Russie, » assertion démentie presque à chaque ligne de son récit non-seulement par les faits, mais par ses propres commentaires.

Au moment où M. Harris entrait en Pologne, la diète générale de 1767 venait de se réunir, et Catherine y dominait par son ambassadeur le prince Repnin, souverain de fait, entouré de baïonnettes russes; mais ce n’était pas encore assez : malgré la terreur inspirée par l’arrestation des évêques, il pouvait surgir de nouveaux opposans; d’ailleurs la besogne eût été trop lente dans une assemblée nombreuse. La diète, docile aux ordres qu’elle recevait, nomma donc des commissaires qui formèrent une délégation chargée de dresser, de concert avec Repnin, le code des nouvelles lois. Quand tout fut terminé, il fallut soumettre à l’attache officielle de la Russie l’œuvre de son ambassadeur. Ce fut l’objet du traité du 24 février 1768, où le travail tout entier de la délégation fut placé sous la sanction du droit conventionnel : combinaison inouïe, qui faisait dépendre la Pologne, dans ses lois et règlemens intérieurs, d’engagemens pris avec une puissance étrangère.

  1. « Le partage de la Pologne a été appelé une scandaleuse violation du droit public, un grand crime public. Je demanderai aux honorables membres qui m’écoutent de considérer quelle a été, depuis un siècle, la politique constante de leur propre pays avant de faire entendre contre les autres nations des accusations de ce genre. Y a-t-il une partie du monde où l’Angleterre n’ait accru son territoire par des procédés en tous points semblables à ceux que l’on blâme avec tant d’éclat et où elle ne maintienne son empire par l’oppression des nationalités conquises? Pendant le siècle dernier, l’Angleterre s’est emparée du cap de Bonne-Espérance par la force, et c’est encore par la force qu’elle s’y maintient. Est-ce du consentement des habitans français du Canada que nous nous sommes rendus maîtres de cette province? Et nos possessions dans l’Inde, à Ceylan et dans les Iles-Ioniennes ne sont-elles pas le fruit de la conquête? A Ceylan et dans les Iles-Ioniennes, les gouverneurs anglais ont été obligés, pour défendre leur autorité, de recourir à des châtimens presque aussi sévères que ceux que le grand-duc Constantin a infligés en Pologne, et l’on peut dire que la population de ces îles a eu cruellement à souffrir de notre tyrannie. Il y aurait donc une hypocrisie grossière de la part de ce pays à se poser en défenseur des nationalités opprimées. » — Discours de lord R. Cecil dans la chambre des communes, le 27 mars 1855.