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liberté, et sert à flatter le vieux parti polonais; mais, quand on y regarde de près, on voit que ce n’est qu’un vain hochet, car la complication des autres innovations est telle que le veto ne peut qu’accroître la confusion. La cour de Russie a pris soin d’assurer l’impuissance de la Pologne, et en vérité c’était bien le moins qu’elle pût faire, car la France, l’Autriche, la Prusse et même la Turquie, chacune par différens motifs, lui ont dit : « Faites ce que vous voudrez en Pologne, pourvu que vous ne changiez pas la forme du gouvernement et que vous quittiez le pays quand vous aurez fini. Nous ne voulons pas avoir de nouvelles créations politiques en Europe, afin de n’avoir pas à nous occuper de nouvelles combinaisons et de nouveaux systèmes. »

«Le roi ne l’ignorait pas; il connaissait la perversité et l’inquiète jalousie de la nation, qui, livrée à elle-même, aurait mis tout au pis en détruisant ce qu’il avait fait de plus utile. En outre les Russes étaient maîtres non-seulement du royaume entier, mais de la capitale elle-même. Tout cela le détermina à entrer dans les vues de l’impératrice, trouvant en elle le seul pouvoir capable à la fois et de le défendre contre les attaques du dehors, et de dompter les turbulentes et séditieuses dispositions de son peuple.

« Les changemens considérables dont j’ai parlé plus haut ne sont pas les seuls; il s’en est opéré beaucoup d’autres de moindre importance, tels que plusieurs places enlevées à la nomination du roi pour devenir l’apanage de quelques familles, l’emploi en pensions et largesses d’une somme annuelle de cinq cent mille livres sterling, dont cinquante ont été ajoutées à la liste civile du roi, un don de cent et quelques mille livres au prince Radzivil en dédommagement de ce que ses terres avaient souffert pendant son exil, l’octroi de plusieurs titres et de près de cent indigénats ou lettres de naturalisation, enfin la grande affaire des dissidens, dont je n’ai pas parlé parce que je l’ai considérée comme chose entendue. Ils sont maintenant placés sur un pied d’égalité avec les catholiques, sauf cette seule exception qu’un dissident ne peut être élu roi, et que, quoique sa majesté polonaise soit libre d’épouser une protestante, sa femme, dans ce cas, ne pourrait être couronnée. Les dissidens cessent d’être ainsi désignés ; on les appelle gens de l’église non unie. Ils préfèrent ce nom de non unis à celui de désunis, parce que ce dernier implique une union antérieure, ce qu’ils ne veulent pas admettre. »


Ces renseignemens sur les travaux de la diète sont complétés par quelques détails qui nous montrent avec autant de netteté que de finesse le milieu moral où s’agitaient alors les affaires de Pologne :


« Le prince Radzivil, maréchal de la confédération, alors qu’elle existait, est un des plus puissans seigneurs de Pologne. Ses revenus, si on les suppose en ordre, s’élèvent à dix-huit millions de florins polonais, près de cinquante mille livres sterling. Ils ont été bien diminués, pendant l’interrègne[1], par les dévastations des troupes russes sur ses domaines. Il était

  1. Espace de temps qui sépara le 5 octobre 17G3, jour de la mort de Frédéric-Auguste, du 7 septembre 1764, jour de l’élection de Stanislas Poniatowski. Quand le trône de Pologne était vacant, le primat prenait le titre d’interrex. On sait quels furent à cette époque les déchiremens de la Pologne, dont divers prétendans se disputaient la couronne les armes à la main. Les principaux étaient les Radzivil et les Braniçki; venaient ensuite les Oginski, les Lubomirski, etc. Quant à Adam Czartoryski, qui pouvait être un concurrent redoutable pour son cousin Stanislas Poniatowski, il se retira devant sa candidature, et contribua à son succès, qu’assurèrent encore mieux les intrigues, l’or et les troupes de Catherine.