Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 46.djvu/877

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

alors l’ennemi déclaré de la Russie et commandait une armée de huit mille hommes, avec laquelle il s’opposait à toutes ses mesures. La conséquence fut que, battu et fugitif, il dut chercher un asile à Dresde. Pendant ce temps, ses immenses possessions devinrent la proie de l’ennemi. Dans les derniers troubles, il changea de parti; il se fit l’âme damnée de l’impératrice, fut mis par elle à la tête de la confédération et récompensé à la fin par le premier palatinat du royaume et par un présent, comme je l’ai dit plus haut, de plus de cent mille livres sterling[1]. Il a environ trente-cinq ans, porte toujours l’ancien habit polonais, et est un si grand sot que le prince Repnin mit un colonel et soixante hommes dans son hôtel pour l’empêcher de boire pendant qu’il était revêtu de fonctions si importantes. Je l’ai vu moi-même, le lendemain de la dissolution de la diète et du départ de ses garnisaires, arriver ivre chez Repnin et s’y vanter d’avoir maintenant le droit de se griser. Il ne sait pas parler français, et sa moralité comme sa conduite ne le placent guère au-dessus de ses vassaux. Il donna, pour l’anniversaire de la naissance de l’impératrice, un bal où se trouvaient près de trois mille masques, et où, sans parler des autres vins, il fut bu mille bouteilles de vin de Champagne. La prodigalité de toutes les fêtes polonaises va au-delà de ce qu’on peut imaginer. La maison du prince Radzivil est ouverte tous les jours à tant de gens que ses vingt-cinq cuisiniers peuvent à peine y suffire. Les deux frères Czartoryski donnent aussi tous les jours à dîner et à souper à quiconque se présente; ces deux maisons sont le rendez-vous général des étrangers; celle du prince Radzivil est toute polonaise………………

« Le prince Repnin, quoique appartenant à l’église grecque, dont les ri-

  1. Il est permis de croire qu’en embrassant, en 1767, le parti des Russes, Radzivil était plutôt guidé par sa haine contre les Poniatowski et par son goût pour les aventures que par un attachement coupable aux ennemis de son pays. — Il fut dupe et non pas traître. — Sa destinée semble avoir été de nuire toujours à la Pologne en cherchant à la servir à sa manière. La suite de sa vie est, comme le commencement, pleine d’agitations et de chimériques entreprises. Dès qu’il comprit les projets de Catherine, il redevint son ennemi, se retira en Lithuanie et leva de nouvelles troupes. Plus tard il rejoignit les confédérés à Teschen. Ne voulant pas être témoin du démembrement de la Pologne, il s’exila et ne rentra dans sa patrie que pour y vivre retiré et y mourir. — On sait que c’est lui qui, dans le désir de susciter une rivale à Catherine, enleva la princesse Tarkanof, fille d’Elisabeth, et la conduisit à Rome. Bientôt il l’abandonna avec son inconstance et sa légèreté habituelles. Alexis Orlof, profitant du dévouement de cette malheureuse princesse, fit luire à ses yeux la perspective de la couronne, l’épousa, dit-on, secrètement, puis, l’entrainant à bord d’un navire dans le port de Livourne, la ramena en Russie, où la malheureuse victime de cet odieux guet-apens périt dans un cachot.