Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 46.djvu/91

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sacrés de la Pologne et de l’Italie, » finissent par des annonces qui s’adressent aux acheteurs d’esclaves.

On a essayé à plusieurs reprises de former des journaux français à Rio-Janeiro et même à Pétropolis, résidence d’été de la cour et des riches nababs de la capitale ; mais un obstacle essentiel s’oppose à ce qu’aucun de ces journaux prospère : c’est qu’il leur est impossible d’aborder les questions d’intérêt général. Toute polémique dégénère vite au Brésil en un débat personnel. Le vrai remède à une telle situation serait dans un meilleur régime d’enseignement, qui fait malheureusement défaut. Si Rio-Janeiro, Bahia, Pernambuco, São-Paulo ont depuis quelques années des cours de droit et de médecine, il faut bien ajouter que la population de l’intérieur est en proie à l’ignorance la plus déplorable. La faute, à vrai dire, n’en est pas toute aux habitans. Avant l’indépendance, il leur était en quelque sorte défendu de s’instruire sur leur terre natale ; les jeunes gens qui désiraient faire leur éducation étaient forcés de traverser la mer et de venir prendre leurs grades à Goïmbre. Cet état de choses a laissé des traces fâcheuses parmi les familles brésiliennes les mieux placées pour introduire dans le pays des habitudes nouvelles. Un fazendeiro à qui vous demandez s’il ne cherchera pas à cultiver par l’instruction l’intelligence de son fils vous répondra ingénument que pour planter du café et produire du sucre ses enfans n’ont pas besoin d’en savoir plus que lui. Aussi n’y a-t-il guère que les rares familles qui fréquentent la cour ou quelques riches commerçans des grandes villes qui consentent à envoyer leurs fils en Europe[1].

Dans les premiers temps de mon séjour à Rio-Janeiro, je croyais que l’exemple des Français devait faire sortir les Brésiliens de leur apathie et leur donner le goût de la vie extérieure : je ne tardai pas à être désabusé. Le Brésilien fait la sieste, fume ou joue dans ses appartemens. Le théâtre pourrait être un lieu de réunion ; mais l’originalité manque ici absolument : les pièces sont presque toutes tirées du répertoire français, et la plupart des artistes viennent de Paris. Les Brésiliens n’ont une physionomie propre que dans les processions et les cérémonies publiques. Je choisis pour exemple une revue de la garde nationale. Le 7 septembre 1859, anniversaire de l’indépendance, tout le monde était déjà en ligne à Rio-Janeiro lorsque j’arrivai, et les choses se passèrent assez régulièrement, sauf l’explosion d’une pièce d’artillerie. Personne du reste ne parut étonné, tant ces petits accidens semblent faire partie intégrante du programme. Les blancs, beaucoup plus nombreux qu’à Bahia, offraient

  1. Du reste les Brésiliens doutent un peu trop d’eux-mêmes, si nous en croyons toutes ces éditions classiques d’auteurs latins et portugais qui, au lieu de sortir des presses de Lisbonne ou de Rio-Janeiro, sont expédiées ne Paris.