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à mort, ajoutant que si cela arrivait, il quitterait la robe. Sa prière l’emporta, et le vote de son père fut ce qu’il désirait; mais il en porta la peine, car dix-huit ans après il était encore conseiller aux requêtes, sans avoir fait un pas, tant le souvenir de la fermeté paternelle dans l’affaire du surintendant pesait sur lui. « Né galant, dit Saint-Simon, avec un feu et une grâce dans l’esprit que je n’ai point vus dans aucun autre, si ce n’est en M. de La Trappe, il se distinguoit dans les ruelles et les sociétés à sa portée, et plus encore par sa capacité, sa grande facilité et son assiduité au palais. Je lui ai ouï dire bien des fois que son château en Espagne étoit d’arriver avec l’âge à une place de conseiller d’honneur au parlement et d’avoir une place au cloître de Notre-Dame. C’étoit un très petit homme, maigre, bien pris dans sa petite taille, avec une physionomie d’où sortoient sans cesse des étincelles de feu et d’esprit, et qui tenoit encore plus qu’elle ne promettoit. Jamais tant de promptitude à comprendre, tant de légèreté et d’agrément dans la conversation, tant de justesse et de promptitude dans les réparties, tant de facilité et de solidité dans le travail, tant d’expédition, tant de subite connoissance des hommes, ni plus de tour à les prendre. »

Cependant les années s’écoulaient, et Pontchartrain était toujours conseiller aux requêtes du palais. En 1677, la première présidence du parlement de Rennes devint vacante. C’était un poste difficile à cause de l’indépendance des esprits de la province, récemment troublée par une sédition formidable, et Colbert, qui disposait de tous les emplois civils, ne voulait donner celui-là qu’à un homme en qui il pût se fier. Un de ses parens lui par la spontanément de Pontchartrain, et, par le bien qu’il en dit, décida Colbert à le nommer premier président à Rennes. Pontchartrain y réussit à merveille et y resta dix ans, à l’expiration desquels Claude Le Peletier l’appela à Paris comme intendant des finances, lui ouvrant ainsi la carrière des grands emplois.

La politique de Louis XIV a eu des représentans illustres, et sur ceux-ci l’opinion de l’histoire est depuis longtemps formée; elle a eu aussi des serviteurs plus obscurs, dont les efforts ou les témérités ne sont pas cependant un des traits les moins caractéristiques du règne. C’est dans ce groupe trop négligé, offrant encore quelques figures originales à mettre en lumière, qu’il faut placer le comte de Pontchartrain. Il y a dans les actes de ce ministre autre chose que les élémens d’une curieuse étude biographique; il y a l’explication de bien des événemens, de bien des crises douloureuses qui suivirent la mort de Louis XIV et qui apprirent à la France où peut mener un gouvernement absolu, quand il lui manque un grand ministre pour le contenir et le diriger.