Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 46.djvu/942

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour moi; mais vous me ferez plaisir de ne plus me louer dans aucun de vos ouvrages. Je ne vous le pardonnerois pas, si cela vous arrivoit davantage. » Un président du parlement de Rennes lui avait demandé son portrait : « Je vous suis fort obligé, lui répondit-il, c’est une marque d’amitié de votre part, que je ressens comme je le dois; mais n’ayant jamais voulu me faire peindre, et aucun des portraits que l’on a faits de moi et que l’on a répandus dans le public n’approchant même pas de la ressemblance, je vous conseille de mettre un autre tableau dans l’endroit que vous avez destiné pour le mien... » Quelquefois la raillerie, une raillerie fine et légère, se glissait jusque dans la correspondance officielle du chancelier. En 1709, dans cette terrible année dont les misères ont laissé un souvenir néfaste, un intendant lui demanda un congé qui, disait-il, ne pouvait avoir d’inconvénient pour le service, tout dans son intendance étant dans un état parfaitement calme et satisfaisant. « La plus pleine paix et le roi dans la plus grande prospérité de ses affaires, lui répondit Pontchartrain, n’ont jamais vu un département aussi heureux que celui que vous me dépeignez. Cela mérite non-seulement la permission que vous demandez de venir ici, afin que vous en puissiez recevoir les éloges; mais M. Desmarets (le contrôleur-général) devroit même vous y faire venir, quand vous ne le demanderiez pas, pour tirer de vous votre secret, et pour le communiquer à tous les intendans du royaume. Ce sera donc avec grand plaisir que je vous verrai, et que je vous entretiendrai sur de si grands talens. »

Une circonstance fâcheuse, la persécution contre le Télémaque, se produisit pendant l’administration de Pontchartrain. Le nombre des ordres transmis à ce sujet prouve les préoccupations que ce roman célèbre occasionna au gouvernement. En 1698, les rigueurs contre Fénelon redoublent : non-seulement on fait saisir le Télémaque, mais on empêche la distribution d’autres écrits de l’illustre prélat; puis, après avoir été très sévère, on s’aperçoit que le but a été dépassé, et l’on ordonne de cesser les poursuites, « le roi n’estimant pas, dit Pontchartrain, qu’on doive empêcher M. l’archevêque de Cambrai d’écrire pendant que les autres prélats le font. » C’était d’ailleurs le temps où les libraires convaincus d’avoir fait imprimer et distribuer des libelles hostiles au roi étaient impitoyablement condamnés à mort et exécutés. Le chancelier Pontchartrain ne fit rien, et c’est une tache dans sa vie, pour adoucir cette législation barbare. Quant aux écrivains même les mieux intentionnés, on va voir le cas qu’il faisait de leurs méditations et quels conseils il leur donnait. Un procureur en la chambre des comptes de Rouen, le sieur Jort, lui avait soumis le plan d’un ouvrage qui touchait sans doute de quelque côté à l’administration publique : « Vous devez, lui écri-