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sommes sujets, et qu’il vous plaira de considérer. » Une de ces autres choses était le bourreau, dont le salaire tombait en partie sur la boulangerie. Cette coutume, qui n’était pas particulière à Paris, s’est maintenue jusqu’à Turgot, qui l’a fait disparaître le 3 juin 1775, aux termes d’un arrêt « faisant défense très expresse aux exécuteurs de la haute justice d’exiger aucune rétribution, soit en nature, soit en argent, des laboureurs et autres qui apporteront des grains et des farines dans les villes et sur les marchés. »

Après qu’on avait pris tant de précautions pour que le boulanger manquât de blé ou le payât cher, on exigeait de lui, sous des peines sévères, qu’il eût toujours sa boutique bien garnie de quatre sortes de pains et qu’il vendît à bon marché. C’était dans la logique du temps. De même il était de tradition que « tout cabaretier ayant son cabaret ouvert devait avoir du vin pour les pauvres, vin loyal et marchand, à raison de 2 sous la pinte. » Partout on retrouve le vieil esprit romain, qui voit dans le marchand un esclave public devant ses services au populus oisif et privilégié, n’ayant droit lui-même, pour son travail, qu’à une sorte d’usufruit dont le prince règle la quotité. A travers ses réminiscences nuageuses, le légiste ne distinguait pas cette différence, que, chez les modernes, le marchand, le travailleur, loin d’être en dehors du peuple souverain, en fait la partie essentielle. Il ne faut pas croire au surplus que toutes les lois ridicules de l’ancien régime fussent rigoureusement exécutées : elles étaient incessamment éludées par l’ascendant des gens riches, la vénalité des commis, la subtilité des marchands ou des acheteurs. Les uns passaient à travers les mailles du filet, les autres y restaient victimes. L’arbitraire et la ruse, en atténuant des lois impossibles, les faisaient vivre, et c’était le plus odieux et le plus funeste du système : les populations contractaient ainsi des habitudes de rapine et de tromperie bien éloignées de la candeur idéale qu’on attribue à ces époques.

Cette police aveugle et tracassière, on le concevra sans peine, allait droit à l’encontre du but qu’elle se flattait d’atteindre. Sans parler des grandes famines[1], toujours compliquées de maladies contagieuses et de jacqueries, et qui ne prenaient fin qu’après avoir jeté bas une partie de la population, il y avait un état permanent de crainte pour l’approvisionnement des villes, et les prix étaient en définitive assez élevés relativement à notre temps. A la première apparence de crise, les magistrats prenaient l’alarme avant

  1. Les historiens en ont compté soixante-quatre de ce genre, du Xe au XVIIIe siècle inclusivement.