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tous les autres : leur zèle éclatait en mesures de surveillance et d’intimidation, en ordonnances et arrêts proclamés à son de trompe dans les carrefours. Comme la foule accourait, curieuse et inquiète, en voyant approcher le cortège des quatre hommes qui étaient les moniteurs vivans de Louis XIV : maître Pasquier, juré-crieur ordinaire du roi, et les trois jurés-trompettes, Claude Craponne et les deux frères Ambezar! Quand le cercle est formé, ceux-ci se campent fièrement sur la hanche, agitent la petite oriflamme cousue à leur trompe, lancent leur fanfare de mauvais augure, et puis le crieur royal, prenant « une haute et intelligible voix, » annonce gravement au peuple que tel boulanger est puni pour n’avoir pas garni suffisamment sa boutique, ou tel manant pour avoir acheté plus de pain qu’il n’en pourrait manger. Mêlons-nous à la foule et écoutons une de ces proclamations, lues avec l’accompagnement obligé de Craponne et des Ambezar. C’est une sentence du 20 juin 1709, « Les huissiers... ont vu un homme et une femme qui leur ont paru, par leurs habillemens, être habitans de quelque village des environs de Paris; l’homme ayant sur ses épaules un sac rempli de huit pains bis, et la femme tenant deux pains bis sur les bras. Interrogés, ils ont répondu qu’ils étaient mariés ensemble, que l’homme s’appelait Jean Belon, maçon de son métier, » mais qu’étant sans ouvrage l’un et l’autre, « ils faisaient, comme beaucoup d’habitans de Belleville, Charonne, La Villette, Montmartre, » ils allaient chercher du pain à la ville pour le céder à leurs voisins. Ils avaient donc « acheté du pain à 3 sous la livre, avec espoir de le revendre 3 sous 6 deniers. » Les coupables avouaient leur crime! La sentence porte que Belon a été conduit au Châtelet, que son pain a été confisqué, et qu’il a été condamné à 160 livres d’amende. Comment le malheureux les a-t-il payées?

Ces proclamations annonçaient que le pain allait devenir cher. Le peuple comprenait à demi-mot. D’un embarras, les magistrats avaient bientôt fait une panique. Leur idée fixe a toujours été que le mal provient des accapareurs. Pour les surprendre en flagrant délit, ils ont recours aux visites domiciliaires, aux dénonciations des voisins et des subalternes, qu’ils encouragent, à l’autorité ecclésiastique, qu’ils font intervenir. Dans la seconde période du règne de Louis XIV, qui n’a été qu’une longue disette, à mesure que la détresse publique augmente, les actes comminatoires se multiplient. Par arrêt du conseil de 1693, ordre est donné aux détenteurs de grains, marchands ou autres de vendre tout ce qu’ils en ont au-delà de leur provision de six mois, « à peine de confiscation desdits grains, applicable, à savoir le tiers au dénonciateur, et les deux autres tiers aux pauvres du lieu. » Les cultivateurs ou négocians n’ont pas de