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marchandises disponibles. Peu importe, il faut qu’ils en trouvent; le prévôt et les échevins le veulent ainsi : « Enjoignons aux trafiquans de grains, tant de Paris que forains, de fournir la porte de ladite ville d’une quantité de grains suffisante pour sa provision, et aux fermiers et laboureurs d’en faire conduire les quantités nécessaires pour garnir lesdits marchés, à peine pour les contrevenans de mille livres d’amende avec contrainte par corps (23 août 1694). » Ces décrets de circonstance, lancés quand on commençait à craindre que les murmures populaires s’élevassent jusqu’au trône, n’étaient pas alors une lettre morte. On les appliquait ab irato. Voici un ordre secret du lieutenant de police Voyer d’Argenson, en date du 2 juin 1699, et provoqué, à ce qu’il semble, par des dénonciations : « Il est ordonné au procureur du roi de se rendre à Lagny, Lizy, Dampmartin, la Ferté-sous-Jouarre, et autres lieux où besoin sera;….. et en cas qu’ils découvrent des magasins ou amas de blé ou autres grains, les huissiers les saisiront et mettront en bonne et sûre garde, et assigneront les contrevenans par devant nous. » La collection de Delamare est riche en papiers de ce genre : on y trouverait les élémens d’un curieux martyrologe.

Il y avait pourtant une chose plus effrayante, à mon avis, que les menaces du roi, du lieutenant de police ou des échevins : c’était le monitoire ecclésiastique.. — Le pauvre manque de pain, il souffre en lui-même et dans ses enfans; on a tout fait pour lui persuader qu’il est victime d’une odieuse cupidité : il jette des regards de convoitise et de vengeance sur ceux qu’il suppose ne manquer de rien. Vous croyez peut-être que l’église va intervenir pour calmer cette irritation malfaisante? Bien au contraire. Pendant trois dimanches consécutifs, le curé interrompt la grand’messe, réclame l’attention des fidèles, et leur fit un papier, « par l’ordre de l’archevêché de Paris, à la requête du lieutenant de police et du procureur du roi au Châtelet, complaignant à Dieu et à notre sainte mère l’église. » Un de ces monitoires, du 3 juillet 1694, commence par quelques phrases adressées à « tous ceux qui savent et ont connaissance que certains quidams malintentionnés auraient enlevé, diverti ou retenu les blés destinés pour la provision de Paris, et auraient commis des monopoles et malversations à cet égard... » Après cet appel à l’espionnage et à la délation, transformés en devoir religieux, venait une admonition à l’adresse de ceux qui étaient soupçonnés de manœuvres illicites, et qui parfois étaient assez clairement désignés pour que l’assistance les reconnût. Une excommunication conditionnelle était d’abord prononcée contre eux, a dans laquelle sentence, s’ils croupissent pendant six jours, nous les aggravons; s’ils y croupissent pendant six autres jours, nous réaggravons : après quoi l’ex-