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torité, et qui donne une assez maigre idée de la profession : « loyer de la maison, à raison de 300 livres par an; — pour la nourriture du boulanger, sa femme et famille, entretenement d’iceux, envoyer leurs enfans aux écoles, par jour, 35 sous.» Il était donc rare que le boulanger parisien fût riche sous Louis XIV, et quand par hasard on signale une belle boulangère « qui a des écus, » la chanson s’empresse d’ajouter : « qui ne lui coûtent guère. »


IV.

Le XVIIIe siècle, surtout dans sa première partie, n’améliora pas le sort des boulangers : il ajouta même à leurs petites misères la chance d’être pillés et maltraités par la populace, devenue audacieuse. Si les anciennes administrations créaient souvent la disette, c’était par l’excès d’un zèle malentendu : on ne trouvait pas mal que le peuple souffrît un peu pour qu’il fût plus facile à mater; mais l’horrible pensée d’exploiter ses misères n’était pas encore entrée dans les esprits. Au déclin du prétendu grand règne, les embarras financiers semèrent les germes de l’agiotage. Pendant le système de Law, la haute noblesse, qui y fit en général des bénéfices énormes, contracta l’instinct du lucre avec des habitudes de prodigalité. Une sorte d’entente s’établit entre les traitans et les personnages en crédit, les uns apportant dans l’association le tour de main, et les autres l’impunité. On spécula beaucoup, particulièrement sur les grains. La concession de quelque service concernant les vivres fournissait le prétexte des accaparemens; quelque ordonnance de police arrivant à point favorisait la manœuvre.

Il est certain que le prix du blé fut maintenu à un niveau assez élevé pendant cette période, et que la tranquillité des rues fut souvent compromise à propos du pain. En signalant toutes les émotions de ce genre dans leurs curieux journaux, Buvat et Barbier témoignent de l’importance que les contemporains y attachaient. La police ne se faisait pas grand scrupule de détourner l’indignation populaire sur les pauvres boulangers. La foule affamée aimait à voir un commissaire, suivi d’une escouade de maçons, allant faire murer les magasins où l’on s’obstinait à vendre trop cher. « Il y eut un boulanger du faubourg Saint-Antoine, dit Buvat en date de décembre 1722, qui fut muré avec sa femme dans sa boutique, et on leur donnait du pain et de l’eau pour leur subsistance par un trou qu’on avait fait entre les soliveaux du plancher de la chambre du premier étage. » Dans la disette de 1725, défense avait été faite de vendre d’autre pain que du bis-blanc et du bis. Un nommé