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de ne point poser avec anxiété cette question quand on voit s’éclaircir les rangs déjà si peu pressés du personnel politique officiel, et lorsqu’on a le sentiment du grand vide que fait la mort d’un homme tel que M. Billault.

Si en effet l’historien, le critique littéraire, peuvent se donner la tâche de supputer le mérite intrinsèque d’un homme d’état et d’un orateur, ce n’est pourtant pas de la sorte que se mesure pour les contemporains la valeur pratique d’un homme politique. Cette valeur est essentiellement relative, elle dépend des circonstances et de la façon dont elle s’y adapte. C’est surtout par ce côté que doivent être appréciées l’importance de M. Billault et la gravité de sa perte. Les aptitudes de M. Billault ont indirectement, mais très efficacement coopéré aux petits progrès accomplis récemment par nos institutions. Si l’empereur n’avait pas eu M. Billault sous la main, qui sait si l’évolution du 24 novembre eût été possible et se fût réalisée ? Après les dernières élections, il parut nécessaire de faire encore un petit pas en avant : on fit le décret du 23 juin ; ce fut surtout autour de la personnalité de M. Billault que durent pivoter les arrangemens devenus nécessaires. On nous rappela bien à cette occasion que rien n’était changé aux bases posées dans le plébiscite de 1852, que les ministres demeuraient responsables envers l’empereur, que les principes fondamentaux du plébiscite de 1852 ne pourraient être changés que par un plébiscite nouveau. Cependant on nous rappelait aussi que l’on avait voulu, par le décret du 24 novembre, donner aux grands corps de l’état une participation plus directe à la politique générale du gouvernement, que la création des ministres sans portefeuille était due à cette pensée, que l’on jugeait maintenant convenable d’aller plus loin, et que l’empereur, par le décret du 23 juin, substituait aux ministres sans portefeuille le ministre d’état, le ministre chargé des rapports du gouvernement avec les grands corps de l’état, afin « d’organiser plus solidement la représentation de la pensée gouvernementale devant les chambres. » Ce qui donna un sens précis à ces explications, ce fut la nomination de M. Billault au ministère d’état. M. Billault s’ajustait si bien à la nouvelle institution, qu’elle semblait être faite pour lui, qu’elle s’incarnait en sa personne. Le ministre d’état ne devait plus avoir d’attributions administratives ; il devait être l’intermédiaire entre la pensée dirigeante du gouvernement et les chambres. Les autres ministres, les ministres administrateurs, étaient, si l’on nous passe un barbarisme du jour, des spécialistes ; le ministre d’état, organe de la pensée générale du gouvernement, devenait en fait le généralisateur du cabinet. Cette fonction donnait au ministre d’état une position à part et une position inévitablement supérieure à celle de ses collègues. Ce n’était pas encore la présidence du conseil dans l’ancien sens du mot, mais c’était un acheminement vers la place d’un premier ministre. C’était un rôle de distinction et peut-être de transition. Or personne n’y était plus propre que M. Billault. Son caractère s’y prêtait autant que son talent. M. Billault n’avait pas d’angles