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reconnaîtra que l’Autriche doit être le pivot de toutes les combinaisons militaires et de tous les arrangemens diplomatiques qui se rapporteront à la guerre. L’Autriche, qui peut-être au fond répugne moins à la guerre qu’on ne l’imagine généralement, ne peut entrer dans une politique coercitive contre la Russie sans obtenir de grandes garanties préalables. Si elle se joint à l’entreprise de la reconstruction d’une grande Pologne, elle doit compter qu’elle ne conservera pas la Galicie ; il faut lui assurer des compensations. Les garanties, qu’il n’est pas nécessaire d’indiquer, il n’y a que le désintéressement proclamé de la France qui puisse les donner à l’Autriche. Quant aux compensations, elles ne nous semblent pas pouvoir être promises par l’Angleterre, dont le gouvernement ne contracte jamais d’engagemens éventuels, et ce serait encore la caution de la France qui devrait être réclamée. Nous n’irons pas plus loin dans ces indications; mais si la diplomatie travaille activement à la question polonaise, c’est à préparer des combinaisons semblables qu’elle doit être occupée. Nous sommes au moment où il faut jouer le grand jeu, et nous allons voir si les acteurs sont à la hauteur des rôles que la situation leur impose. E. FORCADE.



M. EDWARD ELLICE.

M. Edward Ellice, membre du parlement, est mort le mois passé dans le nord de l’Ecosse, à l’âge de quatre-vingts ans. Il était un des plus parfaits modèles du gentleman de la vieille roche, type qui malheureusement disparaît tous les jours. Tous nos hommes politiques l’ont connu et pratiqué, et il avait presque autant d’amis en France qu’en Angleterre. Whig pur sang et sagement libéral, il disait avec vérité et non sans un certain orgueil qu’il était citoyen du monde. En effet, personne ne fut plus exempt de préjugés et de passions, plus prompt à reconnaître et à louer le bien partout où il le rencontrait. Il entra à la chambre des communes en 1826, et depuis cette époque il n’a pas cessé de représenter la ville de Coventry, où d’abord il avait été élu. En 1830, lorsque lord Grey, à la famille duquel il était allié, devint premier ministre, M. Ellice fut nommé secrétaire adjoint de la trésorerie, et pendant la lutte passionnée qui eut lieu à l’occasion de la réforme parlementaire, il exerça dans la chambre les fonctions de whipper-in. Ce terme est emprunté au vocabulaire de la chasse : il désigne le veneur chargé de ramener les chiens sur la piste. Par métaphore, on donne le même nom au confident du chef du cabinet (ou du chef de l’opposition) qui veille à l’union intime des membres du parti. Relever le courage des timides, retenir les emportés, apaiser les mécontens, négocier avec les neutres et en faire des alliés, telle est la tâche du whipper-in.

Dans ces temps difficiles où la chambre comptait un grand nombre de membres nouveaux et peu disciplinés, cette tâche ne pouvait échoir à un homme mieux qualifié pour la bien remplir. La loyauté connue de M. Ellice, sa finesse, son tact, sa profonde connaissance des hommes, surtout son remarquable entregent, contribuèrent puissamment au succès du bill de réforme. Il excellait à ménager les amours-propres, à calmer les susceptibi-