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elle est universelle. D’autre part, nous voyons Hegel, Jean-Paul, et après eux la plupart des esthéticiens allemands prendre l’humour pour le comique, et réciproquement. Ceux qui blâment en France cette confusion, et qui nous semblent en avoir le droit, auraient bien dû la rendre désormais impossible par quelques distinctions approfondies. Ils ont du moins convenablement séparé le comique du risible. Il faut se hâter de les en remercier dans un temps où des auteurs fort applaudis s’imaginent qu’il y a une comédie de mots qui peut remplacer, par quelques poignées de sel gaulois ou autre, la peinture des mœurs et des caractères. « Le comique, disent les critiques qui pensent, le comique est quelque chose de permanent, de continu, d’essentiel ; il appartient à l’ensemble d’une œuvre, à la totalité d’un caractère ; c’est une qualité constante plutôt qu’un acte. Le risible est au contraire quelque chose de momentané, de passager, d’accidentel ; c’est la qualité d’une action particulière, d’un trait, d’une parole, d’un geste. » Ces observations sont de toute justesse ; mais il n’est pas inutile de les compléter en disant que la confusion du risible et du comique n’est pas toujours une simple erreur d’esthétique. Plus d’un instinct médiocrement élevé y trouve son compte. Pour les auteurs, le risible est plus facile à trouver que le comique. Combien peu de comiques en effet dans chaque littérature, et au contraire quelle multitude d’amuseurs à la plume leste et féconde en saillies ! Pour les spectateurs, le risible est plus aisément et plus promptement saisi que le comique. D’ailleurs, si le rire prolongé rassasie l’esprit et fatigue le corps, pris à petite dose, il procure une distraction immédiate, une sorte d’activité passive qui ne coûte nul effort, et qui par conséquent repose, comme l’avoue quelque part M. Dumont après l’avoir nié ailleurs. C’est une espèce de second dessert que vont chercher au théâtre les natures paresseuses, ou sensuelles, ou brisées par les occupations quotidiennes, ou accablées d’un ennui journalier. Au contraire, le vrai comique, qui n’éclate pas sans cesse en fusées risibles, qui ne réveille pas assez les nerfs engourdis, qui n’aiguillonne pas assez fréquemment la torpeur et la somnolence, le vrai comique, tout clair et jaillissant qu’il soit, a besoin qu’on s’y rende attentif, qu’on l’écoute et qu’on le suive dans ses développemens variés. Le vrai comique ne chatouille pas les sens ; il s’adresse à l’intelligence, et les auditeurs qui ne cherchent que le risible sont des intelligences qui ont abdiqué. Enfin le vrai comique est hardi ; il touche à certaines parties qu’irrite le moindre contact. Le risible, plus indulgent, ne cherche querelle à personne ; bon vivant, joyeux compagnon, il prend pour lui toute la peine, il chasse nos soucis, et sa complaisance ira, s’il le faut, jusqu’à étouffer sous le bruit de sa voix et des grelots de sa marotte les importunes réclamations de la conscience. Comment s’étonner après cela