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qu’il ait peu à peu usurpé la place, la popularité, si ancienne pourtant, et même le nom du comique ?

Mais la raison n’a point légitimé cette usurpation : elle maintient que la matière du comique, ce n’est pas le risible, mais le ridicule. Quand on emploie indifféremment ces deux termes, on ignore ou l’on oublie que le premier signifie tout simplement ce qui fait rire, tandis que le second désigne ce qui mérite d’être puni par les risées. En présence du risible, la raison se borne à goûter le plaisir d’agir vite et sans effort dans son propre sens, sous la pression d’une pointe légère qui l’aiguillonne à petits coups répétés. Le ridicule provoque deux sortes de rires, l’un qui n’est que goûté, l’autre qui est infligé à un travers, à un défaut ou à un vice, à titre d’humiliation méritée, par la raison jugeant et punissant au nom des lois de la logique, du goût ou de la conscience. Le risible éveille et stimule la raison ; le comique fait davantage, il l’exerce et la fortifie ; il l’instruit en lui montrant les dangers qu’elle court lorsqu’au lieu d’observer franchement les règles du grand jeu de la vie, elle s’abaisse jusqu’à tricher. Le comique est semblable à l’ombre savante qui, dans les tableaux de clair-obscur, décuple l’éclat de la lumière : le cadre est couvert presque tout entier de teintes foncées, un point seulement en est vivement éclairé ; mais c’est de ce point que le regard est frappé, c’est de ce rayon unique que se souvient la mémoire. Pour faire passer à travers les ombres de la comédie ce rayon qui vient de la beauté même, ou de la vérité, ou du bien, un amuseur n’est pas l’homme qu’il faut : un poète en est seul capable, parce que, seul, le poète est inspiré. Le risible n’est pas inspirateur ; le ridicule l’est pour les grands esprits, dont l’œil pénétrant voit dans toutes les négations de la sottise quelque affirmation de la raison. Au fond, le poète comique, quoique par un procédé indirect, affirme l’ordre éternel aussi haut que personne. Or l’affirmation est la fécondité même. Aussi le comique est-il fécond : pour une part considérable, il fait dans la vie ou contribue à faire des esprits sensés ; dans l’art, il suscite des chefs-d’œuvre. Mais quels sont les arts qui l’admettent, et dans quelle mesure l’admettent-ils ?


III.


Une réponse à peu près complète à ces deux questions fournirait la matière d’un assez long chapitre d’esthétique ; elle dépendrait à la fois et de la façon dont on comprendrait l’art et de l’idée qu’on se serait formée du rire, du risible, du comique et de tous les phénomènes analogues. Cette réponse, M. Léon Dumont a essayé de la donner ; mais, quoique cette partie de son ouvrage renferme bon nombre d’observations fines et justes, on regrettera, nous le crai-