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sible n’existe pas, ou n’existe que comme musique ridicule. Or, quand elle a le malheur de le devenir, c’est sans intention assurément et en dépit de l’art, ainsi que M. Dumont l’a fort bien remarqué.

Cependant il y a des opéras-comiques : n’y a-t-il donc pas une musique, sinon risible, au moins comique ? Pour répondre de notre mieux à cette question, nous rappellerons l’effet que le comique produit sur notre âme. Cet effet est double : le comique étant un caractère en dehors de la règle et trouvant dans ses travers mêmes la punition qu’il mérite, nous jugeons qu’il est justement puni, et nous jouissons à la fois et du plaisir de le juger et de celui de le voir pris dans son propre piège. Ainsi le comique agit sur notre intelligence, qu’il excite, et sur notre sensibilité, qu’il réjouit. Exciter notre intelligence à la façon du comique, c’est-à-dire d’un caractère qui se développe et se fait condamner, la musique ne le peut pas plus que traduire une page de Descartes ; mais nous égayer et réjouir, ou, si l’on aime mieux, être divertissante et réjouissante comme l’est le comique et au même degré, chanter et jouer de façon à toucher notre sensibilité comme l’émeut le comique, pour cela la musique le peut, elle le fait ; bien plus, elle y excelle. Mais faire cela, ce n’est en aucune sorte ni rire, ni provoquer le rire, car, répétons-le, l’essence du comique n’est pas de nous faire éclater de rire, et d’ailleurs la musique n’en a pas le pouvoir. Lors donc que l’on parle du rire qui naît sur nos lèvres à l’audition de la musique vraiment comique, c’est du mot sourire que l’on devrait se servir. En ces termes et sous ces réserves, il y a certainement une musique comique, et le lecteur nomme ici de lui-même en première ligne les Noces, le Mariage secret, le Barbier de Séville. Néanmoins l’expression de comique, quand il s’agit de musique, ne signifie que gaîté, agrément, vivacité pétillante de la voix et des sons de l’orchestre en parfait rapport avec une pièce, des situations et des caractères comiques. Sur ce point, l’auteur d’une Philosophie du rire, le savant et spirituel critique qui plus d’une fois a heureusement appliqué, dans la Revue, sa théorie aux œuvres musicales, serait certainement du même avis que nous. Veut-on d’ailleurs vérifier nos assertions ? L’expérience est facile et a lieu chaque jour : que l’on prenne la scène la plus comique du plus comique de tous les opéras, du Barbier de Séville, et qu’on en joue la musique au piano, dans un salon ; on ne fera éprouver à l’assistance que l’impression de la gaîté et non celle du comique, à moins que l’assistance ait vu la pièce au théâtre et retrouve le comique dans ses souvenirs. Soumettez à la même épreuve la musique d’un ballet très comique ; vous aboutirez à un résultat semblable. Le son musical est modulé, il n’est pas articulé comme la parole ; inarticulé, il reflétera éternellement