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fut poignardé l’interprète de sir Rutherford Alcock ; là ce ministre lui-même fut assailli la nuit par une bande de lonines[1], qui laissèrent cinq des leurs sur le champ de bataille, après avoir tué oou blessé plusieurs personnes, telles que M. Oliphant, attaché de la légation et écrivain distingué, et M. Morrison, consul à Nagasacki ; là enfin périrent deux matelots anglais en » défendant la vie du colonel Neal, le successeur par intérim de sir Rutherford Alcock.

Saï-kaï-dsi, la légation française se trouve dans une rue parallèle au to-kaïdo, et sur une éminence d’où l’on jouit d’une vue admirable sur le golfe. Le consul-général hollandais occupe, lorsqu’il est à Yédo, un petit temple appelé Chio-dsi, qui est situé dans un quartier assez misérable, entre la légation d’Angleterre et celle de France. Il y vit comme un prisonnier d’état, car toute sa maison est envahie par des soldats japonais qui ne le perdent pas de vue pendant la journée, et qui pendant la nuit veillent jusqu’à la porte de sa chambre à coucher. Aussi s’expose-t-il le moins possible aux inconvéniens de la position qui lui est faite à Yédo, et passe la plus grande partie de l’année soit à Decima, colonie hollandaise de Nagasacki, soit à Yokohama, dans le voisinage de ses compatriotes. Pendant longtemps, le ministre des États-Unis seul a continué de résider d’une manière permanente à Yédo ; mais depuis: l’incendie de Dsen-fou-si, siège de la légation américaine, le général Pryne, successeur de M. Towsend Harris, a été obligé de suivre l’exemple de ses collègues et de s’établir aussi à Yokohama. Dsen-fou-si était un temple situé dans l’intérieur de Yédo, à 3 kilomètres de Toden-si et à 2 kilomètres de Saï-kaï-dsi. Il avait été autrefois l’habitation des bonzes attachés au service d’une grande tera ; le parc qui l’entourait était mal entretenu, mais vaste et rempli de beaux arbres ; on y admirait surtout un figuier des pagodes (ficus religiosa) aux dimensions colossales. Les Japonais l’avaient en vénération, y suspendaient des ex-voto, et s’y réunissaient en foule tous les soirs pour faire leurs prières. C’est dans l’enceinte du temple de Dsen-fou-si que logeait Henry Heusken, le secrétaire de M. Harris ; c’est de là que pendant trois années il partit presque tous les jours pour faire des promenades à cheval dans Yédo ou dans les environs de la ville, qu’il avait étudiée avec le goût d’un antiquaire : on le connaissait jusque dans les ruelles et les quartiers les plus reculés. Durant les trois mois que je passai à Dseo-fou-si, il fut mon

  1. Les lonines se recrutent parmi les gens déclassés, etc. Les étrangers désignent sous le même nom des bandits et autres malfaiteurs dangereux qui se sont montrés hostiles aux rapports entre Japonais et Occidentaux. Chez les Japonais, le terme de lonine n’a rien de méprisable et signifie « homme sans emploi ».