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des puits ou des fossés. Un jour, en 1689, on trouva des pierres et deux inscriptions qui démontraient, dit un historien, qu’il devait y avoir eu dans cet endroit « une villa de Pompée, » et non la « ville de Pompéi. » Une pareille bévue, cinquante ans après la déclaration de Luc Holstenius, prouve que les plus évidentes vérités se répandaient malaisément dans le grand siècle.

Tout le monde sait que la résurrection de Pompéi fut devancée par celle d’Herculanum. Un jardinier, en creusant un puits, avait découvert cette dernière ville; le prince d’Elbeuf, en élargissant l’ouverture, s’était emparé de statues qui sont maintenant à Dresde; les fouilles, interrompues par ordre, reprises en 1738 pour le compte du roi, interrompues de nouveau par l’invasion des impériaux, puis reprises de plus belle et continuées sans grand résultat jusqu’en 1748, étaient cette année-là presque abandonnées. On n’en retirait plus rien, on ne se doutait pas de ce qu’on y devait retrouver plus tard. Ce fut alors qu’un colonel du génie nommé don Rocco Alcubierre, s’étant rendu aux environs de Torre-Annunziata pour visiter le canal qui alimentait la poudrière, apprit par hasard de l’intendant don Juan Bernardo Boschi « qu’il y avait par là un endroit nommé la Civita, à quelque chose comme deux milles de la Torre, et qu’on y avait particulièrement trouvé quelques statues et autres débris de l’ancienne ville de Stables. » — On le voit, l’erreur tenait bon malgré Holstenius. Don Rocco demanda donc au roi (c’était alors Charles III, le premier des Bourbons de Naples, et qui eût fondé quelque chose s’il avait eu d’autres successeurs) la permission de pratiquer quelques fouilles à la Civita et dans un autre endroit peu éloigné nommé Gragnano. Le roi donna son consentement, et ce grand ouvrage fut entrepris le 30 mars 1748 (et non en 1754, comme le disent tant de livres). Le point où commencèrent les travaux est dans la rue de la Fortune, à gauche, à quelques pas du carrefour. La première curiosité trouvée fut une peinture de onze palmes sur quatre et demie, figurant des festons formés de fleurs, de fruits et de feuilles de vigne, et une tête d’homme d’un beau caractère : on la coupa bien vite et on l’emporta sur un char. Les premiers ouvriers employés furent douze forçats[1]. Les premières mesures prises dans les fouilles n’eurent aussi d’autre objet que de prévenir les détournemens. Ces précautions rigoureuses,

  1. On s’étonne aujourd’hui de voir les rudes mains des galériens occupées à ces œuvres délicates. C’est que Charles III ne savait que faire des innombrables prisonniers qu’il avait en son pouvoir. Outre les criminels du royaume, il entretenait par milliers des pirates et des corsaires qu’il avait pris dans ses expéditions contre les Barbaresques. C’étaient eux, en grande partie, qui travaillaient au château de Caserte, le Versailles napolitain. Cette magnifique construction fut entreprise avec 2,000 ouvriers, réduits à 600 en 1765. De ces derniers, 200 seulement étaient libres; tous les autres forçats ou esclaves; parmi les esclaves, on comptait 165 Turcs et 169 mahométans baptisés. « On est très peu content de leur travail, dit Lalande dans son Voyage d’un Français en Italie. On emploie 250 hommes pour les garder, il y en a toujours qui s’échappent, et il y en a peu qui travaillent utilement. » Ajoutez qu’à Pompéi les forçats liés deux à deux, traînant des chaînes qui frottaient les mosaïques et heurtaient les constructions fragiles, faisaient plus de mal que de bien. Ils étaient surveillés, mais les surveillans auraient dû l’être eux-mêmes. Quis custodiet ipsos custodes ? aurait demandé Juvénal.