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ayant paru suffisans, La Vega fut proclamé archéologue. Il entra en charge le 26 avril 1764, pendant la fameuse famine. Les ouvriers de Pompéi durent en souffrir comme les autres. On trouve dans le journal de cette année, à la date du 10 mars, cette note lamentable qui ne fait pas regretter le bon vieux temps : « Maître Antonio Scognamiglio, ses fils et tous les ouvriers exposent qu’à Torre-Annunziata ils se trouvent dans une extrême détresse et souffrent la faim, ne pouvant avoir du pain que rarement et le payant quatre sous les huit onces; ils se nourrissent de panais, qui est aussi très difficile à trouver, de millet pilé et d’ivraie, mais on leur refuse même cette maigre pitance, parce qu’ils ne sont pas de Torre-Annunziata. Il est impossible d’en avoir de Castellamare, où le gouverneur a ordonné que quiconque donnerait aux étrangers un morceau de pain et une poignée de légumes serait puni de 25 ducats d’amende et de dix mois de prison.» Aux étrangers! Du temps de l’autonomie, on nommait ainsi les gens de la bourgade voisine, et par ordre on les laissait mourir de faim !

Francesco La Vega se conduisit en homme d’intelligence et de capacité dans la direction des fouilles. Ses notes sont précieuses à consulter : sous sa main, le journal se développe et se précise; en le lisant, on sait où l’on est et où l’on va. Quelques années plus tard, en 1775, on ne fouillait guère plus le sol de Pompéi que pour fournir du gravier à une route voisine. Les ruines étaient transformées en carrière : tout déclinait dans le pays. De temps en temps, quelque prince allait visiter les excavations, on nettoyait pour lui les maisons et les rues. Le 13 février 1784, ce fut le tour d’un artiste couronné nommé Adolphe-Frédéric, qui était évêque de Lubeck et roi de Suède. On lui montra le quartier des soldats, et il demanda au surveillant Ferez Conde combien il s’y trouvait de colonnes. Le surveillant ne sut lui répondre : il ne les avait pas comptées, dit-il, par scrupule, parce qu’il aurait pu par mégarde en révéler le nombre, qui était un grand secret! Alors le roi se mit à les compter lui-même, les dessina très lestement d’une main exercée, puis il déjeuna de bon appétit et laissa vingt-cinq onces (plus de six cents francs) aux ouvriers.

La partie du journal des fouilles relative à l’année 1793 produit une étrange impression : l’imperturbable tranquillité du rapporteur ne se dément pas une fois en ces temps d’angoisse et de terreur. Les travaux, à en juger par les incidens qu’il note, marchaient assez lentement. A l’arrivée des Français seulement, ils prirent une vie nouvelle. Une vérité fort curieuse, et confirmée par tous les faits passés et présens j c’est que la fortune de Pompéi depuis sa résurrection suivit exactement la fortune de Naples. La ville morte revint en faveur toutes le fois que la ville vivante fut bien gouver-