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et vêtue d’un manteau blanc, cherche à calmer l’ardeur de son gendre et lui montre en pleurant Lavinia, qui, drapée d’un voile bleu, détourne la tête en tendant les bras dans une attitude suppliante. Turnus, comme dans Virgile, a les yeux fixés sur la vierge ; l’amour le brûle, il ne se laissera pas retenir.

L’autre peinture nous donne la suite de cette histoire, qui est, comme on sait, l’une des plus émouvantes du poème. La bataille est livrée entre les Rutules et les Troyens. Turnus a rempli le camp de funérailles. Énée, blessé, sanglant, est ramené sous sa tente: il veut qu’on arrache de sa cuisse, en élargissant et en fouillant la plaie, le javelot qui s’y est enfoncé. Appuyé d’une main sur l’épaule de son fils lulus, qui pleure, de l’autre sur sa grande lance, il est là, debout, acerba fremens, mais lacrymis immobilis, frémissant et immobile. Japis est accouru, le vieux Japis, qui a reçu d’Apollon tous les secrets et toutes les puissances, mais qui a préféré le don le plus modeste, la science des plantes et l’art de guérir. Vêtu de sa longue robe de médecin, retenue et retroussée par une ceinture, il est agenouillé devant son héros, et, le forceps à la main, il cherche à retirer le fer de la plaie ouverte et saignante. Peines inutiles : rien ne suffit, ni la dextérité du vieillard, ni la puissance des herbes, ni l’inspiration d’Apollon ! Cependant au dehors l’horreur augmente de moment en moment, le combat s’irrite et se rapproche, le ciel se couvre de poussière, des nuées de flèches s’abattent jusqu’au milieu du camp, où entrent déjà les cavaliers ennemis, et dans les airs monte la triste clameur des jeunes hommes qui combattent et de ceux qui tombent… C’est alors que Vénus, émue de cette souffrance imméritée, va cueillir un dictame sur le mont Ida, pour guérir en secret, occulte medicans, le héros blessé dont elle est la mère. Elle arrive au fond de la scène, invisible aux personnages qui la remplissent, et cachée dans un voile rose qui flotte autour d’elle comme une vapeur.

En traduisant à peu près mot à mot le récit de Virgile, j’ai reproduit presque trait pour trait la plus curieuse peinture du triclinium de la maison de Siricus ; mais il est temps de la quitter[1]. En regagnant la rue et en tournant à droite, nous verrons au-dessus de nous, pour peu que nous levions la tête, les mœniana récemment découverts, grâce aux fouilles mieux conduites. Ils règnent au premier étage d’une maison qui fait l’angle entre deux ruelles ; cette maison était un mauvais lieu. L’entrée donne sur un couloir aujourd’hui trop clair, l’étage supérieur ayant disparu, mais autrefois

  1. J’ai adopté ici l’explication de M. Fiorelli, qui me paraît inattaquable. Je note cependant qu’un savant étranger, M. Kiessling, a interprété différemment cette intéressante peinture : il y croit reconnaître Énée blessé par Diomède et guéri dans sa maison, et il voit dans le fond la déesse Artémis apportant sa plante miraculeuse.