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émotions de l’homme politique, du membre illustre du parlement, que les circonstances, unies à un mérite de premier ordre, poussent au ministère. Le personnage de Sheridan est assez bien saisi par l’auteur, qui toutefois le surfait un peu, lorsque dans cet homme d’esprit, dans cet écrivain plein d’humour, devenu orateur et tribun, il veut ajouter aux aspirations généreuses une dose de stoïcisme dont l’histoire ne dit mot. M. Aylic Langlé entend bien le maniement des ressorts dramatiques, il a des saillies heureuses, et nous ne lui reprocherons que d’abuser parfois de la plaisanterie en ne la mesurant pas au caractère ou au rang des personnages. Ce défaut, beaucoup trop commun aujourd’hui, froisse le sens intime du spectateur et du lecteur, et détruit la vraisemblance du dialogue. Le marquis de Champrosé, qui représente là l’émigré français, ce type tant de fois décrit du gentilhomme léger, spirituel, sceptique et par-dessus tout élégant de la fin du XVIIIe siècle, est-il bien dans le rôle d’un exilé de Versailles, en ne trouvant pour égayer la galerie que des jurons comme ceux-ci : mille Danaés!... mille arcs-en-ciel, etc., lorsqu’il ne s’écrie pas : ventre de rose? Comment une grande dame, une Anglaise, la duchesse Cecily de Cardwell, peut-elle s’exprimer dans ce jargon adopté par un certain monde parisien : «Lord Spencer, énormément duc et extrêmement millionnaire? » Autre chicane : pourquoi aller chercher dans les accessoires de théâtre ce personnage de la quakeresse discoureuse qui parle du Pentateuque et de la bête de l’Apocalypse, et qui est à coup sûr cousine-germaine de la vieille dévote des Ganaches? Pourquoi Susannah, abordant pour la première fois dans un lieu public Sheridan, qui l’épousera plus tard, lui fait-elle un sermon en plusieurs points pour lui prêcher la résignation et le courage au moment où elle ressent elle-même avec amertume les angoisses de la pauvreté humiliée et abandonnée de tous? En bonne conscience, n’est-ce pas elle qui est le bachelier d’Oxford, et Sheridan la faible jeune fille? — Ces réserves exprimées, il n’est que juste d’applaudir au coup d’essai de M. Aylic Langlé; si ce n’est pas un coup de maître, c’est un agréable début.

La pièce des Médecins, qui porte le titre de vaudeville, n’est qu’une suites de scènes burlesques entremêlées de lazzis traditionnels et de quelques traits de comédie. Pourtant, jusque dans cette pièce mal venue, on entrevoit le désir de saisir les mœurs du temps et de les peindre, non plus seulement dans le cercle des filles de marbre, mais dans leurs manifestations variées, chez le médecin comme chez l’homme de banque, chez le charlatan qui s’enrichit comme chez le joueur qui se ruine. Toutefois, puis- que les auteurs voulaient faire une comédie-vaudeville, ils auraient dû la faire amusante, retenir un peu de la folle verve du Malade imaginaire et de la célèbre cérémonie où la faculté soutient un si joyeux assaut. Non pas que nous leur eussions conseillé de copier Molière : autres temps, autres types, avec un fonds d’analogie; mais que ne regardaient-ils autour d’eux, comme Molière, pour tirer de leur expérience des traits plus caractéristiques? Pourquoi ces emprunts tardifs à l’Amour médecin ou à Monsieur de