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lutter, lutter sans cesse et ne durer qu’au prix de cette lutte toujours victorieuse.

Un grand banc de sable çà et là entrecoupé de tourbières dans ses dépressions et à moitié recouvert de relais vaseux que les flots de la mer envahissent à marée haute et que les eaux puissantes de trois grandes rivières inondent, déforment, remuent et découpent dans tous les sens, ici des dunes mouvantes que le vent déplace et roule sur la surface de la contrée, là une boue à peine figée que les vagues déposent et emportent tour à tour ; tantôt des plaines spongieuses qui supportent à peine le poids de l’homme et qui semblent condamnées à une stérilité éternelle, tantôt un sol équivoque, liquéfié, des plages amphibies où l’on ne peut ni naviguer comme sur la mer, ni marcher comme sur la terre ; point de matériaux pour se construire des demeures, ni fer, ni métaux, ni pierres d’aucune sorte : voilà tout ce que le territoire de la Néerlande présentait à ses premiers habitans. Aussi les anciens voyageurs du midi qui visitèrent ces contrées, Thraséas de Marseille d’abord, Pline ensuite, semblent-ils sous l’impression d’une mystérieuse terreur quand ils décrivent la condition des hommes forcés de vivre sur les bords de cette Mer du Nord dont les lourdes vagues terreuses et le sombre ciel annonçaient, croyaient-ils, le terme du monde habitable. Ils ne trouvèrent dans cette étrange région que quelques familles de pêcheurs se réfugiant à marée haute sur des tertres de gazon ou dans des cabanes supportées par des pieux, vivant du poisson qu’ils prenaient dans leurs filets ou des œufs que les oiseaux marins déposaient dans les sables en quantités innombrables. Et pourtant ce sont les descendans de ces pauvres familles qui ont formé les fières tribus des Bataves et des Cauques, et qui plus tard, après avoir conquis pas à pas le sol qu’ils fertilisaient, ont su trouver assez de ressources et d’énergie pour arrêter deux fois le despotisme menaçant leurs foyers, et pour donner le signal de l’émancipation des peuples modernes en fondant leur propre liberté. Sans doute le commerce a été la cause principale de la grandeur et de la richesse de la Néerlande ; mais pour asseoir et faire vivre les villes où se développait le commerce, il fallait créer la terre et lui arracher d’abondans produits. Ç’a été là le résultat d’un effort incessant et séculaire, d’un art inépuisable en expédions et d’une persévérance sans pareille à dompter les élémens. Tout le monde connaît l’immense travail des digues qui préserve de l’inondation une grande partie du pays, la conquête du sol sur l’Océan est ce qui a frappé l’imagination ; mais la fertilisation des sables et des tourbières a exigé encore un plus grand labeur. En beaucoup d’endroits, la couche productive a été formée comme dans un jardin par un mélange de terres diverses souvent amenées de très loin. Ici c’est le sable