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dans les eaux peu profondes. Tous deux servent à faire des nattes qui forment dans les Pays-Bas le tapis des ménages pauvres et qui s’exportent jusqu’en Angleterre. On a soin de recueillir tous les joncs qui poussent naturellement dans les endroits qui leur conviennent; mais on fait plus : quand une terre paraît propre à la production de cette plante, essentiellement paludéenne, on y consacre complètement des champs entiers, en y amenant, même au moyen de moulins, l’eau nécessaire à sa végétation. L’une des propriétés les plus productives du grand polder de Mastenbroek est ainsi aménagée, et les joncs qu’on y coupe rapportent plus que du foin de première qualité. Cet exemple montre une fois encore que presque tout dans la nature peut servir à satisfaire les besoins de l’homme, s’il apprend à utiliser les diverses propriétés des choses.

Nous venons de parcourir la région verte de la zone basse : ce qui la caractérise surtout, c’est le rôle que l’eau y joue. L’eau y est à la fois une source de richesse et une cause de périls et de désastres; mais elle ne ressemble en rien à ce qu’elle est dans les pays accidentés. Ce n’est plus cet élément vivant et joyeux qui court, se précipite, bondit, gazouille, mugit ou tonne, qui anime le paysage du reflet de son écume argentée, de l’éclair de ses remous et de l’écho de sa voix tour à tour babillarde ou sévère ; c’est un corps liquide encore, mais qui semble l’être à peine, tant il est immobile, lourd, opaque, tout chargé de limon ou rempli de plantes aquatiques. C’est pourtant cet élément, d’un aspect si morne, qui est le bienfaiteur de la contrée. Tandis que l’eau joyeuse des hauteurs, charmante, mais perfide, entraîne les terres et restreint la surface habitable, l’eau des terres basses crée d’abord le sol, puis le revêt d’un épais tapis d’herbages qui donne au cultivateur le bien-être et l’abondance; elle féconde et engraisse ses prairies; elle lui offre des chemins de grande et de petite communication ; elle lui prépare ou lui conserve d’énormes provisions de combustible, la tourbe; elle nourrit la plante dont il couvre ses toits; l’hiver, durcie par la gelée, elle lui ouvre des routes unies comme un miroir sur lesquelles il glisse avec la rapidité de l’oiseau; enfin, quand la patrie est menacée, elle lui sert de boulevard, et à la dernière extrémité de suprême et héroïque moyen de défense. De l’eau et de l’herbe, ces deux mots résument toute la physionomie de la contrée que nous avons essayé de faire connaître, et cela suffit pour lui assurer un degré de richesse qu’on ne rencontre guère ailleurs. La suite de ces études nous montrera comment la charrue fait naître sur des terres un peu plus élevées des produits non moins abondans, mais d’une autre espèce.


EMILE DE LAVELEY.