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seulement nous voyons éclater sous une forme originale et avec une jeune virilité les sentimens personnels du poète, mais où nous croyons saisir encore les opinions morales, politiques, religieuses et même littéraires de toute une famille stoïcienne aussi célèbre par ses vertus que par ses malheurs immérités, et qui versa son sang pour sa foi civique. On aborde avec plus d’indulgence et de recueillement cette poésie pénible quand on ne songe pas trop à la juger en critique littéraire et qu’on n’y cherche que le sévère plaisir de contempler des convictions généreuses. Aussi n’avons-nous pas le dessein de considérer Perse comme le rival d’Horace et de Juvénal; nous ne voulons étudier en lui que l’adepte du stoïcisme, le jeune enthousiaste patricien, mort à vingt-huit ans, qui a consumé sa courte vie à mettre en vers et à frapper laborieusement de fortes maximes, et qui, depuis son enfance jusqu’à sa mort, n’a fait que célébrer les rigueurs de la sagesse avec la candeur d’un lévite élevé et retenu dans le temple de la philosophie.

C’est en effet une sorte d’enseignement sacré que celui de la morale au temps de l’empire. La philosophie n’est plus comme autrefois une science spéculative, un objet de savantes disputes et l’amusement distingué des plus délicats. Le stoïcisme est sorti des écoles pour se répandre dans le monde, il ne tend plus qu’à la pratique : il a l’ambition de parler aux consciences, de façonner les âmes, et ses préceptes, adoptés avec ferveur, sont devenus des règles de conduite, souvent même des mots de ralliement politique, espèce de protestation superbe contre les mœurs du siècle et le despotisme impérial. Le stoïcisme et le christianisme, sans se connaître, essayaient de répondre également à des besoins nouveaux de perfection morale. Tandis que la foi chrétienne, répandue dans la multitude innomée et poursuivant sa marche souterraine, renouvelait mystérieusement les âmes des humbles et transformait souvent ces déshérités en héros, la vieille doctrine de Zénon, dégagée de son appareil scientifique et marchant au grand jour, conquérait la plus belle partie de la société romaine, lui inspirait des vertus plus provoquantes et la rendait capable d’une autre espèce de martyre. Comme les pauvres mouraient pour leur Dieu, les patriciens et les philosophes mouraient pour l’honneur de la dignité humaine. La philosophie, elle aussi, semble alors avoir sa milice qui prêche dans les écoles, dans les familles, quelquefois dans la rue, qui entreprend de former les hommes sur le modèle d’un idéal sublime, qui exhorte, qui gourmande, qui console. Si l’on veut comprendre la noblesse, la portée et l’accent de ces satires toutes morales de notre poète, il faut d’abord se représenter les caractères nouveaux de cette philosophie active, la gravité presque religieuse de ces sages dont Perse a été l’élève sans jamais sortir de leurs mains, qui l’ont inspiré, surveillé,