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les honneurs, la beauté, amenaient souvent à leur suite bien des catastrophes, ainsi que Juvénal s’est donné la peine de le prouver dans sa dixième satire par de nombreux exemples tirés de l’histoire romaine. Ces sortes de prières peuvent être pernicieuses, disaient les philosophes; la prière exige beaucoup de prudence : il n’y a rien de plus fou que de demander étourdiment aux dieux des maux en pensant leur demander des biens et de chanter la palinodie un moment après. La prière en effet, chez les païens, établissant entre l’homme et les dieux une sorte de contrat que ceux-ci étaient censés exécuter à la lettre, il fallait bien peser ses paroles de peur de solliciter une chose qui pourrait être nuisible. Aussi les philosophes admiraient-ils la courte et vague prière des Lacédémomens, qui, sans rien préciser, demandaient simplement l’honnête avec l’utile. On vantait beaucoup encore cette autre prière, véritable chef-d’œuvre d’un poète inconnu : «Puissant Jupiter, donne-nous les biens soit que nous les demandions, soit que nous ne les demandions pas, et éloigne de nous les maux, quand même nous les demanderions. » Prière plaisante pour nous, à ne considérer que la méticuleuse prudence des termes, mais admirable pourtant par la confiance qu’elle exprime en la Providence divine ! Tout cela fait comprendre pourquoi Perse se moque de ces vœux grossiers qui renferment un danger. S’il s’amuse à dévoiler sur ce point les pièges de la religion, c’est pour engager les hommes à élever leur pensée vers des biens plus nobles, à n’entretenir le ciel que des besoins de l’âme. Sa raillerie n’est pas une fantaisie légère d’irréligion; elle est vive et accablante, tombant du haut d’une grande doctrine.

Toute cette polémique de la philosophie contre la superstition ne procède que par saillies et se découpe en quelques courts tableaux. S’il est des prières dangereuses, il en est aussi de bien embarrassantes pour les dieux. — « Voici un homme qui demande la santé, une vieillesse allègre, il n’y a rien de déraisonnable dans ses vœux; mais cet homme est un grand mangeur qui, par ses excès de table, compromet tous les jours cette santé qu’il veut obtenir. Les plats énormes et les grosses viandes farcies empêchent les dieux d’accomplir sa prière, et Jupiter n’y peut plus rien. » Autre exemple qui montre ce qu’il y a d’illogique, d’absurde dans certains sacrifices. — « Voyez ce paysan qui pour faire fortune immole un bœuf à Mercure, et la main dans le sang : Mercure, fais prospérer mon domaine, donne-moi du bétail, donne des petits aux mères! — Eh! comment le peut-il, imbécile! quand tu immoles toutes tes jeunes bêtes? — Qu’importe? il égorge, il égorge toujours; la prospérité va venir, le domaine s’étendre, le troupeau grossir. Cela vient, dit-il, cela vient... Cela vient si bien que, déconfit, désespéré, il s’écrie un