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Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 47.djvu/317

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jour en soupirant : Je n’ai plus qu’un écu dans ma bourse. » Perse va plus loin encore et ose condamner certaines dépenses inutiles du culte public. On sait, par exemple, que l’or pris sur les ennemis était porté au Capitole, consacré aux dieux et souvent destiné à embellir leurs images. Par cela que les hommes sont cupides, ils s’imaginent que les dieux le sont aussi; ils prêtent à la majesté divine leurs propres convoitises. Dans un beau mouvement d’éloquence qui rappelle certaines apostrophes de Bossuet, il s’écrie : « O âmes courbées vers la terre, étrangères aux choses du ciel! pourquoi porter ainsi dans les temples la bassesse de vos pensées et croire que les dieux seront flattés par ce qui flatte la corruption de la chair ? »

 O curvæ in terras anim, et cœlestium inanes!
Quid juvat hos templis nostros immittere mores.
Et bona dis ex hac scelerata ducere pulpa.


Quel langage nouveau! quel singulier choix d’expressions qui seront chrétiennes! Combien ces vers concis renferment de substance religieuse et morale! S’ils nous frappent encore aujourd’hui, ils devaient, dans leur nouveauté hardie, aller bien plus avant dans les cœurs païens dignes de les comprendre. Le poète découvre de plus en plus sa pensée, qui est de substituer à toutes les superstitions ineptes et trompeuses du paganisme un culte tout moral. Qu’importent aux dieux les riches sacrifices? Ils n’ont que faire de notre or; ni l’opulence, ni les titres, ni les prodigalités de la dévotion ne les émeuvent en notre faveur. Il y a quelque chose de plus rare, de plus agréable au ciel. « Que n’offrons-nous aux immortels ce que ne pourra jamais leur offrir, dans ses plats magnifiques, la hideuse postérité de l’illustre Messala? Une âme toute pénétrée des lois divines et humaines, la pureté jusque dans les derniers replis du cœur, un caractère tout imprégné de vertu et d’honneur. Que j’apporte au temple une pareille offrande et je n’aurai besoin que d’un simple gâteau pour faire agréer ma prière. »

Compositum jus, fasque animo, sanctos que recessus
Mentis, et incoctum generoso pectus honesto!...


Cette satire est un véritable sermon sur la prière, et pouvait passer pour un excellent manuel de la piété païenne. La philosophie, dégagée de la superstition, est arrivée de progrès en progrès jusqu’aux confins du christianisme. Ce sentiment si profond de la moralité religieuse chez un poète païen nous causerait plus de surprise, si ces hautes pensées n’avaient été mises depuis, par la foi nouvelle, à la portée de toutes les intelligences, et n’étaient devenues des vérités