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le goût public. Nulle part il ne s’est montré plus finement original que dans cette satire littéraire. On sent qu’il a vu de près les ridicules qu’il dépeint; il ne parle plus en solitaire étranger au monde, il a dû être invité à quelques-uns de ces prétendus régals poétiques. L’austère jeune homme, accoutumé à de plus hautes pensées, pour qui la poésie est l’objet d’un culte comme la philosophie, ne peut tolérer ces frivoles outrages à un art qui lui est si cher. Il essaie de rire et ne peut que s’irriter. La satire, qui atteint çà et là Néron lui-même, est comme le manifeste littéraire du stoïcisme contre un prince qui, selon le mot de Maternus, profanait l’étude d’un art sacré : studiorum sacra profanantem.

Nous craindrions de ne rien apprendre à personne en donnant des détails sur les lectures publiques que tout le monde connaît. On louait une salle, on y disposait des banquettes, on faisait courir des annonces, on lançait ses esclaves par la ville pour inviter les amateurs, puis, le grand jour venu, le poète montait sur l’estrade, bien peigné, avec une belle robe blanche, un grand rubis au doigt, et après avoir adouci sa voix par une gorgée de boisson onctueuse, il lisait ses vers d’un œil tendre et mourant. « Voyez maintenant, dit Perse, nos grands niais de Romains se pâmer d’aise, pousser de petits cris de volupté à mesure que la tirade avance, les pénètre et chatouille leurs sens. » L’admiration est si vive et si bruyante, que le poète lui-même, confus de plaisir et tout rougissant, est obligé d’y mettre un terme en disant : C’est assez! « Et c’est pour cela, ô poète, que tu sèches et pâlis sur les livres! Où en sommes-nous? En pallor seniumque, o mores ! » Cette scène des lectures publiques se reproduit dans ces riches soupers où, tout en vidant les coupes, nos Romains, bien repus, demandent si on ne leur lira pas quelqu’une de ces poésies charmantes. Il ne manque jamais de se trouver là un amateur qui se lève, et, après avoir balbutié une excuse de sa voix naturelle, où son nez a plus de part que sa langue, change aussitôt de ton, et de son plus doux accent, de sa plus molle prononciation, distille les vers de quelque héroïde galante. La politesse veut que l’on applaudisse avec fureur. La gravité de Perse, sa sincérité, sont choquées surtout de ces exagérations de la louange mondaine, de ces mensonges polis qui vont si mal à des bouches romaines. Il ne voudrait pas pour lui-même de ces éloges de commande qu’on prodigue servilement à de riches métromanes. « Pour moi, s’il m’échappe en écrivant quelque trait heureux (je reconnais que c’est là un phénix bien rare); mais enfin s’il m’échappe un trait heureux, je ne craindrai pas la louange, car je n’ai pas un cœur insensible. Mais que je regarde comme la règle souveraine du goût vos exclamations d’usage : bien! très bien! charmant! non, je n’y