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pitale la plus moderne et la plus rectiligne du monde entier, nous ne donnons pas proportionnellement à nos écoles la huitième partie de ce que donne aux siennes la petite république de Genève. Puisque nous avons pris si aisément et si rapidement des habitudes de prodigalité, étendons-les au moins jusqu’à l’instruction publique, et n’imitons pas ces pères de famille vaniteux qui donnent un cheval et un laquais à leur fils, et lui refusent un maître de grammaire. Il est possible après tout que les économies sur les prisons et les hôpitaux se fassent attendre; l’argent placé dans les écoles n’en sera pas moins sagement et noblement dépensé. L’industrie nationale et par conséquent la richesse commune y trouveront leur compte. Si on entre le soir dans une école de l’association philotechnique, et qu’on y voie ces ouvriers, jeunes et vieux, suspendus à la parole du maître, oubliant, à l’entendre, les fatigues de la journée, les yeux pleins de résolution et d’intelligence, il n’est pas possible d’échapper à cette conviction que c’est en répandant la science qu’on grandit un peuple, et non pas en versant des flots de sang humain. Entre cet ouvrier éclairé et le manœuvre condamné à l’ignorance et à l’impuissance, comme on en compte par milliers dans nos ateliers, il y a la civilisation presque tout entière. Le travail des siècles est comme non avenu pour cet ignorant; il ne sait pas ce qu’on a pensé avant lui, ce qu’on a senti, ce qu’on a découvert : tout lui manque pour s’avancer dans le monde et pour supporter le monde. Il est au milieu des siens comme chez un peuple étranger dont il ne saurait pas la langue.

Mais descendons plus bas encore, aux petites choses qui sont de grandes choses, car rien de ce qui touche au bonheur des hommes n’est petit; prenons un ouvrier illettré : que sera-t-il toute sa vie? In ouvrier. Il aura beau avoir du talent, s’il se fait soldat, il ne deviendra pas même caporal. A-t-il un petit capital, il est la proie des gens d’affaires. Même pour le gouvernement de son mince budget, d’autant plus digne de notre sollicitude qu’il est réduit aux plus minimes proportions, toutes les garanties lui manquent. Il ne peut ni tenir un livre de dépense, ni contrôler les mémoires d’un fournisseur. Il lui manque bien autre chose encore, il lui manque ce précepteur et ce compagnon qui peut tenir lieu de tout, que rien ne remplace, et qu’on appelle le livre.

Tous ces raisonnemens sur la nécessité de l’instruction populaire ont été faits et refaits bien des fois; mais il est bon de les rappeler, aujourd’hui surtout que la force en est centuplée par le double courant politique et industriel qui entraîne la société. Le traité de commerce avec l’Angleterre est un argument de plus avec les chemins de fer et les forces mécaniques. Tout le monde est obligé de se mettre