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au niveau. Le peuple le moins instruit deviendra prochainement le dernier peuple de l’Europe; c’est inévitable, et ce sera juste. N’est-ce pas le moment de se demander où nous en sommes? D’autres compteront les soldats et les canons rayés pour se rassurer sur l’avenir du pays, ou bien ils examineront à fond nos finances; mais, pour qui sait penser et prévoir, la vraie, la principale, il faudrait oser dire la seule force d’un pays, c’est l’homme.

On est trop enclin, beaucoup trop, à se reposer sur ce qui a été fait et à croire que tout va bien. Si nous cherchons ce qui a été fait en France, depuis des siècles, pour l’instruction du peuple, nous ne trouvons que deux choses vraiment grandes : la loi de 1793, rendue à peu près stérile par les événemens, et celle du 28 juin 1833. Cette dernière loi, abrogée par les lois successives de 1848, 1850 et 1854, et qui est encore après tout le fondement et l’espoir de notre enseignement public, est à peine connue en dehors du monde universitaire; car c’est notre usage en France de tout oublier, le bien comme le mal. Elle avait deux grands caractères, elle était libérale et pratique : libérale, puisqu’elle en appelait tout d’abord à la commune, et ne laissait intervenir le département et l’état que quand la commune faisait défaut; pratique, puisque, tout en conservant au maire et au conseil municipal une juste part d’influence et de surveillance, elle soumettait les écoles à une autorité scolaire, et ne les mettait pas, comme on l’a fait depuis 1850, à la merci des préfets ou plutôt des commis de préfecture. Qu’elle ait réglé le traitement des instituteurs à un taux cruellement insuffisant et laissé tout à faire pour les écoles de filles, c’est ce qu’il est impossible de nier et d’excuser. Cette excellente loi était incomplète; jugeons-la pour ce qu’elle a fait, et non pour ce qu’elle a omis de faire. Elle trouva l’instruction primaire avec un budget de 100,000 francs et dix mille maisons d’école. « Dans les autres, c’est-à-dire dans plus de vingt-sept mille, l’instituteur réunissait ses élèves où il pouvait, dans une grange, dans une écurie, dans une cave, au fond d’un corps de garde, dans une salle de danse, souvent dans la pièce qui contenait son ménage et qui servait à sa famille de cuisine et de chambre à coucher[1]. » Grâce à la nouvelle loi, des maisons d’école s’élevèrent sur-le-champ dans treize mille communes. En même temps le budget de l’instruction primaire fut porté pour 1833 à 1,500,000 francs. Il n’y avait que quarante-sept écoles normales; on en créa vingt-huit nouvelles. L’administration étudia avec soin les méthodes, fit faire d’excellens livres, organisa tout le service de l’inspection, et rendit au moins possibles les pro-

  1. M. Charles Jourdain, Budget de l’instruction publique.