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dans cette ville devait être le régulateur du cours du blé et de la farine sur le marché, et que conséquemment empêcher les boulangers d’augmenter la valeur de leur produit, c’était obliger indirectement les commerçans en farine et en blé à réduire leurs prétentions[1]. » Une pareille théorie échappe à la discussion par sa singularité. Pratiquement, la conception du premier consul était toute césarienne, et il est curieux de voir comme les mêmes pensées sortent des mêmes situations. Comme les empereurs romains, le général Bonaparte concevait une corporation en dehors des lois ordinaires du commerce, obligée à maintenir le prix du pain dans de certaines limites, et s’arrangeant, comme dans une entreprise à forfait, pour compenser les mauvaises chances de son contrat par les bonnes. Tel est le vrai sens de cette parole si souvent répétée : « Je veux une boulangerie forte et capable de sacrifices. »

L’idée du premier consul n’était pas généralement admirée dans son entourage, et dès cette époque il y avait une sorte de conflit entre la police administrative et le ministère de l’intérieur. Chaptal, éclairé par les progrès de l’agriculture et de l’industrie, assez initié aux réalités du commerce pour savoir ce qu’on en peut attendre quand on le laisse libre, opposait une force d’inertie aux tentatives de réglementation. Une commission spéciale attachée à la municipalité était devenue, après le 18 brumaire, ce qu’on a appelé depuis la préfecture de police. Ce service avait alors pour chef M. Dubois, successivement avocat au parlement, procureur au Châtelet, juge au civil et au criminel : c’est dire que ce magistrat n’était pas dégagé des préventions contre le libre commerce dont on s’imprègne en manipulant les anciennes lois.

Dès les premiers symptômes de la crise alimentaire, M. Dubois avait proposé au ministre d’empêcher la circulation des grains vers les côtes de l’Océan, dans la crainte qu’ils ne fussent destinés à l’Angleterre. Il avait signifié aux boulangers de Paris l’ordre de maintenir le pain à 13 sous les quatre livres; aussitôt les marchands forains avaient disparu et plus de quatre cents fours avaient été éteints. Le préfet de police s’empressa de fouiller dans l’arsenal des vieilles lois, et en tira un édit de 1776, aux termes duquel il déclara que tout boulanger ayant suspendu son commerce ne pourrait plus le reprendre, et serait en outre passible d’une amende de 500 fr. Cette ordonnance, fort approuvée du premier consul, fut appliquée de la manière la plus rigoureuse. On s’applaudissait de voir dispa-

  1. Ce passage est emprunté à une très curieuse Note sur l’Organisation de la Boulangerie, rédigée par les deux fils du comte Dubois, d’après les souvenirs conservés dans la famille, et communiquée à la commission du conseil d’état, qui l’a insérée dans son deuxième rapport.