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bats, elles ont été suivies de profondes misères. Sur les six cents membres de la corporation, cent ont manqué, deux cents ont fait des traités; il est facile de juger la situation des autres. » Ce cri de douleur n’était pas la plainte banale du boutiquier : l’accent était sincère et touchant. A coup sûr, on aurait voulu donner quelque satisfaction à cette clientèle qui venait au-devant d’un pouvoir nouveau; mais que faire? Les boulangers demandaient la réduction du nombre des boutiques, l’interdiction de la vente du pain sur les marchés par les forains, le rétablissement de la tolérance pour le poids, et enfin une taxe à des époques moins rapprochées. La difficulté en cette matière est qu’on ne peut contenter le marchand sans léser le consommateur. Le commerce, pas plus que l’administration, n’avait à cette époque la notion de la liberté, qui finit toujours par placer les intérêts dans un juste équilibre. On tomba d’accord en définitive pour une augmentation du salaire alloué au boulanger : la prime de cuisson fut élevée de 10 à 11 francs par sac, et elle est restée à ce taux pendant trente-deux ans.

A part cette faveur, la boulangerie ne gagna rien au régime nouveau. Les gouvernemens changent, la bureaucratie est immuable. Sans malveillance aucune à l’égard du boulanger, on s’appliquait par tradition à le tenir serré et à augmenter ses charges. Une ordonnance de 1840 exige que tout pain de taxe, vendu au poids rigoureux, soit mis dans la balance avant d’être livré à l’acheteur, même lorsque celui-ci ne réclame pas le pesage. A défaut de pain ordinaire dans la boutique, l’acheteur a le droit de se faire livrer le pain de luxe au poids et à la taxe. La vente dans les marchés par les forains est facilitée. En 1842, on augmente de trois cinquièmes la réserve en farines que chaque établissement doit posséder, de sorte que la grande boulangerie est obligée d’immobiliser 224 sacs au lieu de 140, la petite 48 sacs au lieu de 30. Ces obligations, ajoutées l’une à l’autre, réduisent petit à petit le bénéfice, déjà trop mince.

On a vu jusqu’ici la famine augmentée, sinon produite, par les terreurs contagieuses de l’administration : la crise si désastreuse de 1847 eut pour cause au contraire une démonstration officielle de sécurité. Vers la fin de 1846, un orateur, ayant sans doute besoin de couleurs sombres pour son tableau, avait insisté sur l’insuffisance de la récolte. Le ministre de l’agriculture, M. Cunin-Gridaine, eut la malheureuse pensée de réfuter cet argument au moyen d’une statistique dressée fort légèrement dans ses bureaux. Les spéculateurs, qui se préparaient à faire de grands achats, éprouvèrent quelque hésitation. On sut bientôt que les chiffres donnés par le ministre étaient démentis par l’évidence. Le commerce, pour re-