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programme du concert que sa verve lyrique pourra bien rajeunir, mais qui sera le même au fond jusqu’à la dernière heure. Du Livre des Chants au Livre de Lazare, à travers tous ces recueils dont les accens doux et cruels ont donné le frisson à l’Allemagne, on ne trouverait pas un motif qui ne soit dans Almansor. Je n’hésite pas à le dire, Almansor est une élégie transposée; sous le voile de ces fantaisies, il y a une histoire réelle. Cette composition singulière qu’il appelle tantôt une tragédie, tantôt une jolie chanson, ce n’est qu’un chant d’amour en effet, un chant où résonnent des accens mélodieux et des clameurs sauvages. Le drame, avec tout son appareil castillan et moresque, n’a été écrit que pour servir d’encadrement à deux ou trois scènes de tendresse et de délire. Il est temps de placer en face l’un de l’autre Almansor et Zuleima.

Quand Almansor est arrivé aux portes du château d’Aly, toutes les fenêtres étincelaient de lumières, toutes les salles retentissaient du bruit des fanfares. Caché dans l’ombre, il assiste à la fête. « En vérité, dit-il avec un sourire amer, la musique est bien jolie. Seulement, c’est dommage, lorsque j’entends pétiller les sons métalliques des cymbales, je sens au cœur mille morsures de vipères; lorsque j’entends la voix douce et prolongée du violon, une lame tranchante me traverse la poitrine; lorsque j’entends au milieu des mélodies éclater le cri des trompettes, c’est comme un trait de la foudre qui me frappe aux jambes jusqu’à la moelle des os, et lorsque j’entends le tonnerre sourd et menaçant des timbales, des coups de massue me tombent sur la tête. » Ces coups de massue sont inquiétans; seraient-ce les préludes de la folie? Je le croirais volontiers; Almansor est déjà un peu fou, et le jeune poète aussi, puisque la douleur lui inspire de si étranges déclamations germaniques avec accompagnement de concetti italiens. Posté devant les fenêtres, Almansor déroule les contrastes qu’il aperçoit entre cette maison en fête et son cœur désolé, puis il s’écrie avec feu : « Ce n’est pas dans ce château qu’est Zuleima, c’est ici, au fond de mon cœur. » Il la peint alors telle qu’il la voit, gentiment installée dans la chambre rouge. Quand notre héros tient une métaphore qui lui plaît, il ne s’en détache pas aisément. Vous saurez donc quels sont dans cette chambre rouge les passe-temps de la châtelaine : « elle joue à la balle avec mon amour, elle fait résonner comme une harpe les cordes vibrantes de ma tristesse, ses serviteurs sont mes soupirs, et comme l’eunuque noir qui garde le harem, ma sombre humeur veille à la porte. » En ce cas; quelle est cette autre Zuleima qu’on aperçoit dans la salle de bal, si belle, si richement costumée, et répondant de son mieux aux hommages de don Enrique? L’auteur a prévu l’objection, et Almansor s’écrie : « Quant à cette figure qui là-haut, dans la salle resplendissante, va et vient, magnifiquement parée, qui se pavane en ses