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point, ces figures désolées, irritées, qui sans cesse tendent les bras l’un vers l’autre sans pouvoir jamais se réunir, ce sont les âmes de Betty, la mère de Maria, et d’Edouard Ratcliff, le père de William. Edouard et Betty s’aimaient; un dépit amoureux les sépara, William épousa une femme qu’il n’aimait pas, et Betty devint la femme de Mac-Gregor. Ils se revirent, ils s’aimèrent comme avant, si bien que Mac-Gregor, dans les transports de sa jalousie, ne recula pas devant l’idée du meurtre. Edouard, comme une âme en peine, rôdait souvent autour du château ; un matin on trouva son cadavre au pied des murailles. Inutile d’ajouter que Betty mourut de désespoir. Vingt ans se sont passés depuis cette aventure; aujourd’hui, pour la punition de Mac-Gregor, l’âme d’Edouard et celle de Betty revivent chez William et Maria.

Les drames fatalistes (Schicksals dramen) étaient fort à la mode vers 1820, grâce aux Houwald et aux Müllner; Henri Heine, qui estimait peu cette dramaturgie grossière, est-il parvenu à la relever, comme il l’espérait, en y introduisant le romantisme poétique? Il suffit pour en juger de résumer la pièce en quelques mots. Quand le drame commence, un troisième prétendant, le comte Douglas, vient d’épouser la fille de Mac-Gregor. On pense bien que celui-ci avait pris toutes les précautions nécessaires pour détourner de son futur gendre le sort de Duncan et Macdonald. Des éclaireurs surveillaient les avenues de la forêt voisine, et le château était bien gardé. Déjà Mac-Gregor se félicite d’avoir sauvé le fiancé de sa fille, et comme il ne craint plus que Douglas par intrépidité s’élance lui-même au-devant du péril, il lui raconte une partie de la tragique histoire dont nous venons de parler, le double meurtre de Macdonald et de Duncan au pied du Schwarzenstein. À ce moment-là même, Douglas reçoit un billet signé d’une main inconnue; quelqu’un l’attend au pied du Schwarzenstein pour mesurer son épée avec la sienne. Il part, impatient de venger les deux victimes. Cette fois en effet c’est William Ratcliff qui est vaincu. Les spectres qui l’assistaient naguère ne sont plus là pour diriger son bras, et au contraire les fantômes de Duncan et de Macdonald, l’épée en main, l’assaillent de droite et de gauche pendant que Douglas l’attaque en face. William tombe, et Douglas retourne au château; mais le soir, après la fête, à l’heure où la nouvelle épousée rentre dans la chambre nuptiale, William arrive, éperdu, ruisselant de sang et protégé de nouveau par les spectres. Une force irrésistible pousse Maria sur son cœur. Tantôt elle panse ses blessures en les couvrant de baisers, tantôt elle a horreur de ce qu’elle fait et veut s’arracher aux embrassemens de William. Vains efforts! la mystérieuse puissance qui les domine tous deux les réunit toujours. Enfin, sachant que William Ratcliff a été vu dans le château, Mac-Gregor accourt transporté