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gardés par l’état; devons-nous être aussi par lui enseignés, édifiés, amusés, et, comme dit la vieille comédie,

…….. Coiffé, chaussé, ganté,
Alimenté, rasé, désaltéré, porté?


Il y a là sans doute un départ à établir qui vaut bien autant, en fait d’importance, et nous touche chacun de plus près que le fameux partage des pouvoirs si souvent remaniés par nos théories constitutionnelles, car de savoir si c’est un roi ou une assemblée qui doit gouverner, cela intéresse assurément et le roi et l’assemblée, et deux ou trois fois en dix ans ceux qui la nomment ; mais de savoir si ce gouvernement royal, parlementaire ou démocratique sera chargé de couper mes arbres et d’arroser mes prairies, de me prêter de l’argent si j’en ai besoin, ou de m’empêcher d’en prêter aux conditions que je puis trouver, de distribuer mes aumônes, d’élever mes enfans, et de prier Dieu pour moi à toute heure, sous quelque humble toit que j’habite, c’est affaire à moi de m’en soucier. C’est cela pourtant dont nos publicistes, jusqu’à ces derniers temps, se sont toujours le moins préoccupés[1]. Les attributions de l’état ont été, une fois pour toutes, au début de ce siècle, réglées par l’état lui-même, d’après des traditions de droit romain et d’omnipotence monarchique déjà fort généreuses et plus largement interprétées encore par un grand homme qui, doué de toutes les qualités du lion, avait celle en particulier de savoir en tout se faire sa part. Comme il l’a faite, nous l’avons prise et gardée, tout en nous disputant pour savoir qui en aurait l’usage et la jouissance. Ainsi a passé de dynastie en dynastie et de monarchie en république cette machine énorme que chacun révère sous le nom d’administration, le nom seul et les qualités du possesseur changeant, tantôt déposée en une seule main, tantôt tenue par plusieurs en nom collectif, mais toujours intacte et préservée même de l’altération et de la rouille par un exercice constant. Au plus fort des tourmentes révolutionnaires, il s’est toujours trouvé à point un gouvernement provisoire pour empêcher que la main populaire n’en vînt démonter les ressorts, comme le syndicat d’une succession en litige veille sur la masse indivise, qui est le gage commun des prétendans à l’héritage.

  1. Ces idées, popularisées depuis peu de temps par un grand nombre d’écrivains distingués, sont devenues presque communes, bien que l’application en ait fait encore peu de progrès. Il m’est peut-être permis de rappeler que j’ai été un des premiers à les présenter aux lecteurs de la Revue, à une époque déjà éloignée, sous l’empire d’une situation politique différente (n° du 12 mars 1849, Questions constitutionnelles; — du 1er et du 15 novembre 1840, De l’Instruction publique.)