Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 47.djvu/543

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus grande égalité que celle qui fait dépendre les intérêts, la prospérité, peut-être même l’existence du plus riche comme du plus pauvre, du plus illustre comme du plus obscur des citoyens, de quoi? Peut-être de la décision d’un commis de bureau à 1,500 fr. d’appointemens, dont personne ne saura jamais le nom. Si on laissait faire l’individu, on ne sait pas ce qui pourrait arriver, car parmi les individus malheureusement rien n’est égal. Il y a des hommes intelligens et des hommes maltraités par la nature, des laborieux et des paresseux, des économes et des prodigues, des gens de bien et des gens sans conscience. Laissez ces élémens se développer sans contrôle, et c’en est fait de l’égalité : le talent donnera l’influence, l’industrie acquerra la richesse, la vertu se conciliera le respect, les gros capitaux mangeront les petits; peut-être les âmes religieuses et charitables s’attireront la confiance des pauvres : voilà la féodalité tout entière. Démocrates, vous ne sauriez trop aiguiser, trop affiler le ciseau de l’état; il n’y a que lui pour émonder cette végétation inégale du sol qui fait des gros arbres et des petits, des chênes et des buissons, une vraie forêt en un mot au lieu de la belle égalité d’une allée de charmilles. C’est ainsi que l’état s’est toujours trouvé prêt à satisfaire l’instinct particulier de chaque parti, et plus encore celui qui leur est commun, à savoir le goût d’écraser son adversaire et de dominer sans contrôle. Tous aussi ont pris ces droits à cœur en les baptisant du nom qui pouvait les leur rendre particulièrement chers. Pour un royaliste de 1825, les droits de l’état, c’était l’héritage que le roi tenait de sa naissance; pour les démocrates de 1848, c’était le dépôt des droits du peuple. Il n’y a que la liberté individuelle, qui, n’étant jamais sacrée ni par la sainte ampoule ni par le suffrage universel, toujours battue, quoi qu’il arrivât, a toujours aussi payé l’amende.

Cette action commune de forces opposées entre elles, mais convergeant sur un même point, a porté la conséquence qu’on pouvait prévoir. L’état en France a pris pour lui et sur lui tout ce qui se pouvait prendre; il n’a laissé à l’individu que tout juste ce dont il ne pouvait pas le dépouiller sans l’anéantir. Rien n’égale le nombre des attributions dont peu à peu il s’est emparé, si ce n’est le poids de la responsabilité, dont, par suite de la même intempérance, il reste chargé. Que de choses qui, dans la plupart des pays civilisés, se font par la libre initiative des individus, chez nous se font par l’état, et ne se font que par lui! Que de pays ont des écoles, des routes, des ponts, des billets de banque, des hôpitaux, sans avoir comme nous, pour subvenir à tous ces besoins sociaux, des professeurs et des ingénieurs d’état, une banque investie d’un monopole et une administration de bienfaisance officielle ! Là même où cet envahissement