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les croyans vont se souvenir que chez tous les peuples l’incrédulité a frayé les voies à la servitude. Rien ne manquera à ces dénonciations réciproques, ni les exemples historiques, ni les épithètes provoquantes propres à soulever l’esprit des masses. Aux souvenirs peu goûtés de l’ancien régime on opposera les visions plus redoutées encore du régime révolutionnaire, — aux excès de 1815 les fautes de 1848, au fantôme blanc le spectre rouge. Poursuivi des noms de féodal ou de clérical, on répondra par celui de socialiste. Chacun aura ainsi le plaisir de satisfaire son ressentiment; mais que deviendront dans ce conflit les droits que la liberté pleure, et qu’elle ne peut reconquérir que par les efforts communs de ceux qui s’associent à ses regrets?

Nous remercions les rédacteurs des deux recueils provinciaux d’avoir donné l’exemple d’un libéralisme plus intelligent; nous les remercions d’avoir pensé que, dans l’œuvre de réparation commune qu’il s’agit d’entreprendre en France, tous les partis qui ont essayé sans succès de lui donner la liberté peuvent apporter les qualités qui leur sont propres, et les consacrer à l’expiation des torts dont aucun d’eux n’est exempt. Ils s’applaudissent déjà sans doute du mélange de forces diverses qu’ils puisent dans ce concours. Ils ont bien fait d’emprunter aux démocrates ce que la foi et la démocratie peuvent seules donner, la confiance dans l’avenir, aux constitutionnels les ressources variées de leur intelligence politique, aux représentans d’un passé dont les formes ne renaîtront pas les traditions de respect de soi-même et de dignité personnelle qui sont attachées à l’héritage de la gloire et des vertus. Nous ne leur ferons pas un mérite de ne pas opposer un ostracisme ridicule aux hommes religieux qui pensent que les devoirs de la conscience chrétienne sont le corollaire et le contre-poids indispensable des droits civiques, et que la loi divine est nécessaire pour suppléer aux défaillances de la loi humaine; mais nous ne leur ferons pas non plus un reproche d’avoir ouvert leurs rangs à d’autres que l’esprit d’examen seul anime, pourvu que ceux-ci consacrent leur libre pensée, non pas seulement à secouer le joug de toute autorité morale, mais aussi à se dégager des routines et des préjugés administratifs. Nous félicitons en un mot ces généreux écrivains d’avoir compris que l’œuvre essayée était assez difficile pour ne repousser aucun instrument. En souhaitant beaucoup de succès à leur tentative et beaucoup d’imitateurs à leur sagesse, nous croyons former, dans l’intérêt de la liberté, le seul vœu qui soit encore permis après quatre-vingts années de luttes stériles et d’efforts sans résultat.


ALBERT DE BROGLIE.