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poète héroïque à des rigueurs envers l’auteur de tant de fines comédies. À quoi bon insister au surplus ? L’éloge de Charlet n’est plus à faire, surtout depuis qu’un juge deux fois autorisé en pareille matière s’est acquitté de cette tâche avec tout l’indépendance d’esprit qu’exige la critique et la haute compétence que donne une longue expérience personnelle de l’art et du succès[1]. Nous n’avons, quant à nous, qu’à essayer de glaner le peu qui a été laissé, et, sans revenir sur une question générale désormais épuisée, à proposer quelques observations partielles, à recueillir quelques détails.

Lorsqu’en parcourant d’après l’ordre chronologique les onze cents lithographies de Charlet, le regard s’arrête aujourd’hui sur celles qui ouvrent la série, ne lui arrive-t-il pas, au premier aspect, d’être un peu déconcerté par l’extrême simplicité de l’exécution et en même temps trop bien prémuni contre l’effet pathétique des intentions et de la scène ? D’une part, le contraste entre cette apparente aridité dans le faire et les progrès matériels qui ont suivi nous porte peut-être à méconnaître ce que de pareils essais ont en eux-mêmes de hardiesse et d’autorité véritable ; de d’autre, une longue habitude, des souvenirs continuellement entretenus rendent ici au moins difficile la candeur et la vivacité des émotions. Le Drapeau défendu, l’Aumône, les Français après la victoire, vingt autres compositions du même genre, si bien connues de notre enfance, et que depuis lors nous n’avons cessé de voir reproduites, par tous les procédés, dans toutes les dimensions, sous toutes, les formes, — de telles scènes, quelle qu’en soit au fond l’éloquence, ne laissent pas de nous toucher assez peu. Il en va de ces lithographies devenues classiques, commode certains tableaux dont la beauté nous échappe à force d’avoir été recommandée à nos yeux, comme de ces figures des Horaces ou des Sabines, que nous n’entrevoyons plus qu’à travers nos souvenirs de collège et le ressentiment des fatigues qu’elles nous ont coûtées. Le talent de David est-il pour cela moins sain en soi, moins bien pourvu ? et parce que chacun de nous s’est vu condamné autrefois à copier péniblement, à recopier d’année en année la tête du vieil Horace ou celle de Romulus, s’ensuit-il que les peintures originales aient perdu quelque chose de leur dignité propre et de leur mérite ? Parce que les premières lithographies de Charlet, pourrait-on dire aussi, ont servi de modèles aux fabricans de devans de cheminée et de papiers peints, faudra-t-il imputer au texte les vices ou les banalités de la traduction, ou, en face de ces modèles mêmes, n’apporter qu’une sorte de satiété systématique, des regards distraits d’avance et comme la volonté de ne pas voir ? On

  1. Voyez, dans la Revue du 1er janvier 1862, Charlet, par M. Eugène Delacroix.